Caroline Lamarche répond à notre questionnaire sur le lecteur

Caroline Lamarche
09.10.2018
170326 Caroline Lamarche Alain Berenboom@ Bart De Moor Rho K5

Caroline Lamarche a répondu à notre questionnaire-type sur le lecteur. Voici ses réponses :

1. Quel pourrait être le profil du lecteur ou de la lectrice idéal(e) de vos livres ?

Il me semble que j’écris pour quelqu’un que j’aime et que j’aimerais séduire par mes livres. C’est forcément un proche, un être exigeant et sincère, avec de l’humour, qui a confiance en moi. Ceux qui reviennent : mes filles, mon mari. Certains lecteurs qui m’ont fait savoir qu’ils aimaient mon travail. Un correcteur chez Gallimard, que je n’ai jamais vu, par exemple. L’un ou l’autre traducteur qui a traduit mon travail et est, à ce titre, dans l’intimité de mes phrases, de mes mots. L’un ou l’autre comédien que j’apprécie. Ou des morts : mon père, et l’ami dont j’ai parlé dans « Dans la maison un grand cerf ». Le lecteur idéal est multiple, fait de tous ces regards.

2. Avez-vous un lecteur ou une lectrice préféré(e) qui existe réellement ? Pourriez-vous le/la décrire ?

Sans doute un personnage qui serait la fusion de mes deux filles. L’une capable d’une critique sincère et très précise. L’autre émotionnellement sensible, qui me renvoie un autre genre de miroir, me fait bouger autrement. Toutes deux pleines d’empathie. J’aimerais les avoir comme lectrices en cours de travail, mais le temps leur manque, elles ont leur vie, et je veux d’autant moins les envahir que je suis leur mère et que j’écris sur des sujets qui me sont très personnels. C’est peut-être pour elles que je suis en train de changer, d’aller vers des thèmes plus universels, avec davantage d’humour, moins de déchirement.

3. Que lisez-vous quand vous êtes en train d’écrire ?

Cela change à chaque livre que j'écris. Je lis, ou relis. Des livres dont le style est une musique, une énergie qui me porte. Je m’entoure de livres. La lecture est mon carburant. Plus je lis, plus j’ai envie d’écrire.

4. Vous considérez-vous comme un(e) bon(ne) lecteur/lectrice de vos propres textes ? Pourquoi (pas) ?

Oui et non. Je suis une lectrice très exigeante et à ce titre, la meilleure lectrice pour moi-même. Le problème est que je ne puis avoir un recul, du moins pas immédiatement, sur mes propres productions. Il y a toujours un ou plusieurs angles morts. Je voudrais me cloner, être moi mais avec le recul d’un autre. Un autre qui serait exigeant, sévère et sincère, un autre à qui rien n’échapperait : comme moi.

5. Vos livres s’adressent-ils à un groupe de lecteurs spécifiques, par exemple des lecteurs avec une certaine connaissance préalable ou une certaine expérience littéraire, ou s’adressent-ils vraiment à tout le monde ?

Qui est « tout le monde »? Ai-je envie de plaire à tout le monde? En suis-je capable? Si c’était le cas je vendrais sans doute plus de livres. Mais ce « tout le monde »-là ne m’intéresse pas forcément. Dans la vie je n’aime pas tout le monde, je suis exigeante en amour comme en amitié et je ne trouve pas désagréable d’avoir des gens qui ne m’aiment pas. Donc non, pas à tout le monde. On a les lecteurs qu’on mérite, que votre écriture touche. Je suis fière de mes lecteurs, ceux que j’ai eu la chance de connaître et qui me restent fidèles. Ils me plaisent.

6. Qu’est-ce qu’un « bon lecteur » et quel est son rôle d'après vous ? De quelle manière le dialogue avec le lecteur peut-il encore être intéressant pour vous-même en tant qu’écrivain, une fois que le texte est publié ?

Un bon lecteur est un lecteur profond, patient, attentif, passionné. Le rencontrer est une joie sur le plan humain et créatif : le retour d’un bon lecteur m’apprend rarement quelque chose sur mes propres livres, car, une fois le livre terminé, je sais toujours très bien ce que j’ai écrit et pourquoi. Mais il me donne le sentiment d’être aimée, et il relance mon désir d’écrire d’autres livres. Et si mon livre le fait parler de lui (ou d’elle) avec sincérité ou émotion, il m’intéresse et me touche.

photos © Bart De Moor (noir & blanc) et Barbara Sandra (couleur)
Caroline Lamarche
09.10.2018