Dix lieux bruxellois pour lire tranquille

Simon Fontaine
10.10.2018
David Iskander 599066 Unsplash

Du confort à la saveur : il n’y a pas de meilleur festin qu’un bouquin que l’on dévore sous nos draps. Arrêtons-nous donc là ; partir à la recherche de l’endroit idéal pour la lecture est d’emblée peine perdue…

Nos imaginaires sont pourtant gourmands et gardent, l’air de rien, une place pour la surprise, ce goût inattendu qui éveille nos papilles et titille nos émotions. Pour le lecteur, un lieu pourrait devenir l’ingrédient décisif de sa recette narrative, telle la pointe de sel dans une pâtisserie ou le bon coup de fouet pour que montent les blancs en neige.

Reconnaissons à Bruxelles ces qualités d’épicerie littéraire, tant il y a d’espaces propices à la culture de notre imaginaire. Il a donc fallu faire un choix, pas toujours simple, pas toujours objectif.

1. Verschueren

11-13 Parvis de Saint-Gilles, 1060 Saint-Gilles

Pour ne s’y être rendu que deux fois et y avoir observé plusieurs comédiens travailler leur texte, ce bar est pour ainsi dire statistiquement intéressant.

Situé au Parvis de Saint-Gilles, ce coin historique, conçu en 1935 par l’architecte Beatrix, sert de terreau à de nombreux artistes, réguliers ou de passage. Il se lit souvent qu’au Verschueren, il est facile de faire de nouvelles rencontres, de discuter avec tout le monde.

Un peu comme chez Parade (voir ci-dessous), la présence d’artistes au Verschueren éveille un mimétisme primitif qui nous ouvre un appétit classique : pourquoi ne pas y revivre la maîtrise racinienne, les douleurs cornéliennes, l’humour de Molière ou le marivaudage ? Certains auront décelé leur date de péremption et leur préféreront peut-être l’épice contemporaine ; pourquoi ne pas demander conseils aux professionnels présents, dans ces cas-là ? Ils ne mordent pas, ils sont vegans.

2. La Belladone

17a rue Moris, 1060 Saint-Gilles

Dans un décor sombre et boisé, et face à son bar aux allures steampunk, la Belladone jouit non seulement du nom d’une fleur rare, mais aussi des odeurs du passé et du goût architectural des années vingt.

Un endroit dont émane l’esprit dada et qui appelle la lecture des surréalistes. Feuilleter Breton ou Crevel, relire Picabia et Cravan, découvrir Marcel Lecomte en écoutant André Souris, les réseaux littéraires s’épanouissaient entre autres dans les cafés de cet acabit. Osons en tout cas l’imaginer, car cette hypothèse laisse tout d’un coup son grain de sel dans les rouages de cette littérature, douée pour le déséquilibre.

3. Parade – café littéraire

59 rue de Savoie, 1060 Saint-Gilles

« Littéraire » est une parade langagière qui donne son goût au café. Voici un lieu de sociabilité artistique, où il faut entendre par « café littéraire » un endroit réconfortant où se rencontrent les artistes, où convergent les idées créatives et où il est de bon ton de faire société.

Notez que ça excite l’imaginaire ; une fois que vous y êtes attablés, il ne reste donc plus qu’à saupoudrer la simplicité du décor et l’ambiance familière des quelques mots de votre choix. Divers livres tentent d’ailleurs de vous faire saliver, à défaut d’avoir emporté le vôtre. Parade, qui propose un assortiment d’éditions indépendantes, est peut-être l’ingrédient passe-partout indispensable à votre périple littéraire bruxellois.

4. La vieille Chéchette

2-6 rue du Monténégro, 1060 Saint-Gilles

La vieille Chéchette, c’est un peu l’épice oubliée dans le fond du placard, celle que nous n’avons jamais pu associer à un plat, trop typée pour être aisément mélangée et si puissante qu’elle nous rend amers. Finies les utopies culinaires, cette épice est trop complexe.

Et puis le jour du grand rangement, elle réapparaît. Alors nous lui donnons une nouvelle chance. Le soir-même, sans plus attendre ; elle allume un souvenir éteint, vieilli par l’oubli mais toujours à l’envi. Elle nous plaît un peu, nous rappelle l’indomptable finesse du palais.

Petit et chaleureux, la vieille Chéchette met en avant une simplicité nécessaire à nos rapports sociaux. Le temps s’y déroule avec une facilité réconfortante.

Il suffit d’un regard jeté à l’étalage des bouquins, alignés sur le mur du fond. Vous pouvez jouer le jeu et goûtez un livre sur place, attendez-vous à devoir confronter vos opinions politiques aux leurs. Sinon un roman classique de votre cru s’y digérerait facilement, à moins que votre palais ne cherche la pleine utopie, inspiré par l’atmosphère du lieu ; veillez à vous munir d’un livre qui déborde d’espoirs.

Bref, la vieille Chéchette invite à lire ces bouquins que l’on décortique en vue de nourrir un certain optimisme.

5. Pêle-Mêle

566 Chaussée de Waterloo, 1050 Ixelles

Le plaisir d’une découverte fortuite décuple ses saveurs, alors que le temps et l’espace s’annulent. Chez Pêle-Mêle, il vous sera proposé de déguster sur place le fruit du hasard.

Trois Pêle-Mêle existent, deux à Bruxelles, un à Waterloo. Lieu de « recyclage culturel », cette enseigne propose à la vente de nombreux objets de seconde main, dont une grande collection de livres. Il est nécessaire d’avoir un peu de temps pour s’y perdre, le hasard n’agissant pas toujours seul.

6. Le Vieux Saint-Josse

2 Place Saint-Josse, 1210 Saint-Josse-ten-Noode

Assoiffé par votre long pèlerinage urbain, vous cherchez un endroit où corriger votre manque de prévoyance. Un ami avait attiré votre attention sur l’une des meilleures pizzerias de la capitale, installée sur la grand-place de Saint-Josse. Insensiblement, vous aviez donc prévu d’y passer. Vous y arrivez.

La pizzeria est effectivement là. Non loin, vous apercevez un café, le Vieux Saint-Josse. Vous décidez d’y entrer, attiré par son aspect. Dans la pénombre traînent de vieux verres à bière. L’odeur de la cigarette s’imagine plus qu’elle ne se sent, elle imprègne le décor, fait de colombages et de briques rouges. Il est adopté, puisque vos pensées s’emballent : vous imaginez toutes sortes de personnages, dont un homme, assis derrière son verre de whisky à la table du fond qui attend impassiblement son rendez-vous, en retard de dix minutes.

Vieille enseigne connue de la place, ce café populaire attire les esprits solitaires, avides d’ouvrages noirs en suspens, construits autour d’une narration à étapes, énigmatique et mystérieuse. Un lieu d’épanouissement littéraire pour les adeptes du roman trépidant.

7. Bibliothèque de Saint-Josse

2 rue de la Limite, 1210 Saint-Josse-ten-Noode

Comme lors d’une chasse, l’espoir et la vigilance aiguisent vos sens et vous éveillent à la surprise. Au milieu des imposantes allées d’une bibliothèque, vous fondez au moment opportun sur le titre qui se dresse devant vous, non par hasard, mais telle une évidence, indifférent face aux risques que vous encourez.

À Saint-Josse comme ailleurs, vous exprimerez vos instincts de lecteur-chasseur, mais à Saint-Josse comme nulle part ailleurs, vous les évacuerez dans la petite cour intérieure, charmante et accueillante, et ferez le bilan de votre battue à l’abri d’éventuels rapaces urbains.

8. La Bourse

Boulevard Anspach, 1000 Bruxelles

Ingrédient nécessaire à l’achat de tous les autres, la Bourse ne se mange pas mais se porte fièrement, de préférence à l’arrière de votre jeans, prête à être dégainée pour vous rassasier. Sans Bourse, point de gourmandise.

Car ses escaliers, coincés entre le boulevard Anspach et la rue de la Bourse, vous invitent à guetter les victimes de vos futures anecdotes. Si vous avez faim d’histoires brèves, le lieu agrémentera votre appétit et vous incitera à parer les manants de leurs atours. Emportez avec vous l’une ou l’autre bande dessinée riche en humeurs et en caricatures, elle sollicitera ainsi vos désirs insolents et stimulera votre créativité sournoise. Ou bien testez les livres numériques, histoire de passer inaperçu au milieu de cette foire aux selfies.

9. Le Coq

14 rue Auguste Orts, 1000 Bruxelles

Pour être tendre et délicieux, le Coq doit bien sûr mijoter longtemps dans sa cocotte, environ deux heures. Que faire, en patientant ?

Le Coq vit non loin de la Bourse. Sa devanture imposante happe le passant. Vous jetez un œil à l’intérieur, ce café n’a rien d’extraordinaire, si ce n’est son charmant aspect vieillot. Puis vous pensez reconnaître le commissaire Connu dans le fond à droite, obnubilé par sa sixième bière d’avant midi. Vous revient alors, comme une évidence, l’envie de (re)lire de fascinants récits policiers. Ça tombe bien, vous avez une des aventures d’Harry Dickson en poche.

Deux heures plus tard, imprégné de l’univers de Jean Ray, le lieu vous conquiert. Pour être tendre et délicieux, le Coq devait bien mijoter longtemps dans une cocotte. Pas comme le poulet dans le fond à droite, désormais trop cuit.

© Iris Bourdeau – Dessin réalisé lors de sa résidence à Passa Porta en 2017

10. Forêt de Soignes – Étangs de Watermael-Boistfort

Si l’enfermement n’est pas propice à l’élan de votre imagination, sortez donc un peu. Au bord d’un étang, non seulement l’esprit peut divaguer et s’ouvrir aux événements insignifiants, mais il peut aussi profiter de l’air frais pour reprendre son souffle.

Pourquoi pas, dans ces cas-là, cuire à l’anglaise un livre à l’écriture élancée, pleine de respiration et de vitalité ? Éplucher un récit de vie, une réflexion, un état d’âme ? Faire suer une œuvre qui demande plus d’attention qu’une autre ?

Les étangs de Watermael-Boitsfort sont l’un des nombreux lieux propices à ce genre de textes. Pour dénicher d’autres campagnes urbaines, baladez-vous du côté de Uccle ou de Jette, de chouettes parcs vous y attendent.

© Bruxelles environnement

Simon Fontaine
10.10.2018