Found in Translation : Ali Bader

02.01.2019
Traduction littéraire
Fernand De Canne 1149499 Unsplash

Pour notre dernier atelier de traduction Found in Translation de 2018, l’auteur irakien Ali Bader, qui habite à Bruxelles, nous a donné un texte inédit en arabe. Nous vous invitons à découvrir et à comparer ci-dessous les deux traductions qui sont le fruit de l’atelier : la première par la traductrice littéraire Maïté Graisse, la deuxième par notre candidat Ahmed Hilaly. Au milieu, le texte original d’Ali Bader.

La machine à images terrifiantes

Ali Bader

Traduit de l’arabe par Maïté Graisse

— Une seule chose dans ce monde n’a aucune importance pour moi.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Le monde lui-même !

Ce monde me poursuit : la météo et le nombre de fesses qui vont bronzer sur la plage, le nombre de soutiens-gorge et de slips qui seront enlevés et jetés au bord du lit, toutes les sortes de chewing-gums des adolescentes dans les rayonnages du Delhaize, les drogues en pilules, les pilules contraceptives, les comprimés antidépresseurs, les histoires des « sains d’esprit » dans la clinique psychiatrique, les pilules contre l’ennui, les récits dans la rubrique des cœurs brisés de la revue La Vie, la folie des réfugiés dans le parc Maximilien.

Ça suffit… Je n’en peux plus. Cette humanité est une merde cosmique tombée du ciel un jour sans pluie et sans nuages, alors pourquoi posez-vous la question ?

Mahmoud était au volant de sa voiture pour se rendre chez son psychiatre, dans la clinique située sur le boulevard Simon Bolivar. Les routes bruxelloises étaient propres et scintillantes en cette journée d’hiver. Une fine couche de neige avait recouvert la rue à l’aube, mais elle a disparu d’un coup lorsque le soleil timide a déployé ses rayons pâles. Mais le froid s’est rapidement intensifié après que le soleil a disparu derrière les épais nuages qui s’amoncellent dans le ciel de Bruxelles tout au long de l’année, de midi jusqu’aux premières heures de la nuit. Le lendemain, la photo de Mahmoud s’est retrouvée dans le journal Metro : « Tué sur la chaussée de Waterloo ».

Comment est-il arrivé là-bas ? Ce jour-là, il était censé se trouver dans le cabinet de son psychiatre, boulevard Simon Bolivar, pas près d’un magasin de chaussures de seconde main sur la chaussée de Waterloo.

Un de ses amis a commenté :

— Il avait probablement une amante dans ce coin et il cachait cette histoire à sa femme.

Par contre, il ne sait pas si cette affaire a un lien avec sa mort, ou s’il s’agit purement d’un suicide.

*

— Le problème de Mahmoud a commencé il y a deux ans, a expliqué sa femme, les larmes aux yeux, un mouchoir à la main. Le problème de Mahmoud a commencé lorsqu’il a quitté son travail dans la pizzeria Napoli, près de Porte de Namur, à cause d’une altercation avec un raciste belge extrémiste.

Patrick, le policier, ne comprend pas pourquoi Mahmoud n’a pas trouvé un nouvel emploi, vu ses compétences, vantées par sa femme, de pizzaïolo comme s’il était italien.

En réalité, il est resté chez lui, chaussée d’Ixelles, longtemps, sans emploi, et puis un beau jour il a décidé de trouver un travail différent. Il n’en pouvait plus de prétendre qu’il était Italien devant les clients en prononçant des mots comme bella signorina, buon appetito, bene ; il a décidé qu’il voulait être opérateur ou réparateur de machines.

Il s’est plongé dans une encyclopédie volumineuse sur les machines et leur fonctionnement, que sa femme, Anne, lui a achetée dans la librairie Tropismes, dans les Galeries royales. À un moment donné, pendant qu’il lisait l’encyclopédie sur son balcon, Mahmoud a crié « Anne ! » en renversant son verre de vin rouge sur sa chemise blanche… Il lui a dit qu’il avait l’impression qu’une machine géante, pas exactement un bulldozer, plutôt quelque chose entre une pelleteuse pour déblayer les décombres et une machine pour fabriquer des lames de rasoir, s’emparait de sa raison.

Dans les jours suivants, la situation s’est beaucoup dégradée. La machine a commencé à lui montrer des images automatiques qu’il ne voulait pas voir, des scènes diverses et contradictoires. Les plus atroces étaient les vieilles images de guerre, de cadavres, de massacres historiques, de meurtres, de torture ; aucune des atrocités de ce monde ne lui étaient épargnées.

*

Mahmoud est un réfugié irakien, la trentaine, arrivé à Bruxelles il y a dix ans. Il a traversé la mer de la mort à bord d’un bateau. Il a parcouru l’Europe, chassé de pays en pays, jusqu’à arriver ici. Au bout d’un an, il a étudié le néerlandais, ensuite il a travaillé quatre ans dans une pizzeria appartenant à une Italienne de Naples, Isabella, et il a épousé Anne, une belle femme originaire de Courtrai. Sa vie avec elle est calme et sans aucun problème, au point qu’il a l’impression d’avoir complètement oublié son passé et qu’il n’est plus ce même réfugié venu en Belgique. Mais le point de rupture qui a changé le cours de sa vie, c’est quand il a quitté son travail. Il s’est alors senti en quelque sorte abandonné et, pendant les longues heures de solitude, quand il reste seul à la maison, des scénarios et des images dominent, encombrent son esprit jusqu’à le paralyser, des images qu’il ne veut pas voir, mais que la machine génère sans que l’on ne puisse l’arrêter.

Un matin, parmi les pubs du Delhaize et autres toutes-boîtes déposées contre sa volonté dans la boite aux lettres sur sa porte, il a trouvé un courrier de la mutuelle proposant des options de cliniques psychiatriques où il pouvait être soigné. Mahmoud s’est mis à observer son visage dans le miroir.

Il est de chair et de sang, pas de fer et de plomb. À Bagdad, il a été arrêté avec un groupe d’amis par des milices religieuses qui les ont condamnés à mort. Les jeunes barbus vêtus d’uniformes kaki et tachetés les ont criblés de balles. Les autres ont été tués, mais lui a survécu : aucune balle ne l’a touché. Il est tombé avec eux, taché de leur sang ; il semblait mort lui aussi. Il a passé une journée entière parmi les cadavres de ses amis, dans une immobilité totale, au point d’avoir l’impression pendant plusieurs jours d’être mort lui aussi. Ses amis étaient des jeunes hommes qui lui ressemblaient en tous points ; et comme lui, ils avaient une mère et un père. Il n’a jamais su s’ils lui auraient pardonné ou non d’être le seul survivant du massacre. Mahmoud a des idées confuses sur le pardon et l’oubli. Comment expliquer la cruauté de la guerre ou la mort absurde de jeunes hommes tués parce qu’ils n’ont pas de barbe, alors que d’autres se transforment en tueurs juste en se laissant pousser la barbe et en revêtant des treillis kaki ?

— Personne ne choisit sa vie, lui a dit le psychiatre avec ses lunettes sur le nez et son air de Pasteur.

— Ça, c’est certain, a répondu Mahmoud au docteur belge. Mais avez-vous d’autres réponses, des réponses que je ne peux pas trouver tout seul ?

Après quoi, il a cessé de se rendre à la clinique pendant tout un temps. D’ailleurs, sa femme lui a assuré que ce n’était pas nécessaire, tant qu’ils faisaient l’amour au moins trois fois par semaine, qu’il restait doux et gentil avec elle, que les voisins l’adoraient et qu’ils ne ressentaient aucun de ses symptômes.

Sa femme, une belle Belge de cinq ans son aînée, possède un grand appartement sur la chaussée d’Ixelles. Elle travaille comme assistante sociale au centre d’accueil pour réfugiés Petit-Château, là où ils se sont rencontrés. Un seul sujet suscite leur désaccord : elle veut avoir un bébé très vite, avant ses quarante ans. Mais Mahmoud rejette cette idée avec une fermeté et une rigueur rares. En effet, il pense que ce n’est pas le bon moment. Il s’efforce de lui faire comprendre que l’Europe est au bord d’une terrible crise économique, pire que celle des années 1930 — c’est ce dont l’a informé la machine à images qui contrôle son esprit. Les Européens sont en passe de devenir pauvres et sans-abris. Il ne veut pas que son enfant connaisse un sort plus triste que le sien en Irak.

Il se peut aussi qu’un corps céleste neuf fois plus grand que notre planète entre en collision avec la Terre, la réduise en fragments volant dans l’espace et transforme leur fils en lambeaux de chair errant avec les astéroïdes parmi les galaxies. Cette idée provient non pas de la machine à images qui fonctionne jour et nuit dans sa tête, mais de toutes ses lectures dans les journaux qui lui donnent la chair de poule, sur les appréhensions des scientifiques concernant les corps célestes qui s’approchent de la planète Terre, mais qui changent miraculeusement de cap, épargnant à l’humanité une destruction inévitable.

Il se pourrait aussi que les nazis retrouvent le pouvoir en Europe et fassent griller au four les enfants des Arabes. C’est une réalité : l’extrême droite grignote chaque jour du terrain dans la vie sociale et politique et se rapproche du pouvoir.

*

Anne, son épouse, ne partage pas ses horribles idées noires. En tant qu’Européenne, elle croit que la science et le rationalisme sont garantes de la paix sur le continent pour les siècles à venir. Elle est heureuse de sa vie stable. Chaque matin, elle prend le métro ou le tram à la station Botanique pour aller au travail. Elle trouve de la satisfaction dans les mini-jupes, les tatouages, les piercings, le collier qu’elle porte autour du cou. Ce collier, qu’il lui a acheté grâce aux allocations sociales reçues en tant que réfugié, est une sorte de lampe d’Aladdin qui lui rappelle toujours d’où vient son mari. Elle étudie l’arabe le soir et écoute de la musique orientale pour se rapprocher davantage de lui.

Mais toutes ces petites joies dans son foyer n’ont pas empêché Mahmoud d’imaginer une mort tragique inexorable ici en Belgique selon l’une ou l’autre de ces possibilités :

— Par une collision avec un conducteur ivre et étourdi.

— Par un couteau d’un extrémiste de droite qui apparait dans l’obscurité tandis qu’il rentre saoul chez lui pendant la nuit.

— Par un immigrant qui n’a pas trouvé un autre moyen d’acheter de la drogue que de racketter un immigrant comme lui.

— Par un corps céleste qui s’écrase sur la Terre.

*

Parfois il était pris d’une envie folle, celle d’avoir un télescope et de surveiller les astres qui se trouvent à des milliers d’années-lumière, tant il craignait qu’un corps céleste maladroit ne s’échappe et ne vienne heurter la Terre. Il voulait observer chaque mouvement étrange des créatures de l’espace qui surveillent la Terre pour y atterrir un jour, exploiter les êtres humains et transformer les rivières en rivières rouges de sang coagulé.

Un jour, il a informé Anne qu’il a vu dix créatures étranges depuis sa fenêtre. L’une d’entre elles se tenait près d’une maison cossue proche du métro. Sa tête en forme de coupe donnait des ordres. Il a également repéré une structure de verre translucide comme si elle était faite d’eau. Tout près, des maisons en briques et de bars vides. Les dix créatures se déplaçaient selon des instructions fermes. Elles se sont approchées de la station de métro, mais sans y entrer, puis elles ont reçu des ordres et ont envahi les bâtiments aux parois aquatiques. Elles en sont ressorties munies d’armes létales pour exécuter les ordres. Il a compris ce jour-là, sans équivoque, la nature de la menace d’extinction de l’être humain, ou la vérité sur la disparition future de cette planète.

— L’existence de la Terre est-elle si importante que ça ? Cette planète est un état poétique, davantage une métaphore comme les métaphores dans le langage qu’une réalité.

Telles étaient les réflexions de Mahmoud pendant une nuit de terreur. Sa femme dormait dans la chambre et lui était dans le salon, en train de fumer par la fenêtre en surveillant l’espace, de peur qu’une des créatures ne saute d’en haut et ne trouble la paix sur Terre.

Mais d’où vient cette paix sur la Terre ?

Elle n’est qu’une simple découverte dans une immense galaxie, rien de plus qu’une sorcellerie d’atomes et d’électrons. Les dangers potentiels sont dus au caractère aléatoire de ses composants. La crainte de sa disparition n’est pas justifiée. C’est de la poussière venant de ventilateur d’idées qu’a activé la machine à images de mort et de guerre dans la tête de Mahmoud, rien de plus.

Mahmoud s’est senti fatigué. Épuisé. Incapable de regarder ce monde calmement, lucidement. Les bruits à l’extérieur le dérangent, les motos dans la rue, le tram qui fait sonner sa cloche près de chez lui, bruits des avions qui décollent de l’aéroport de Zaventem dans le ciel bruxellois. Que faire ? Doit-il crier, pleurer ? Embrasser les mains des passants qui parlent au téléphone pour qu’ils cessent leur boucan ?

Un jour, il a imploré son psychiatre en toute humilité d’arrêter cette machine dans sa tête, de la faire tomber en panne. Elle produit des images étranges sans lien les unes avec les autres, une machine qui n’arrête pas de générer des phrases aléatoires sur la mort et sur la vie. Sur le sexe et sur boulettes. Sur les publicités du Delhaize et d’Aldi et sur les courriers de la commune d’Ixelles. Sur les gaufres et sur les poux. Sur les ivrognes de la gare du Nord et sur la photo du bourgmestre lors des élections. Sur la bière Leffe et sur un tatouage d’extrême droite qui dit : « Ik haat Arabieren. »

Des images contradictoires qui affluent dans sa tête sans qu’il ne sache comment les arrêter. Parfois, il a l’impression pendant des heures d’être une poule enfournée vivante. Ou un singe dont on frappe le derrière avec une planche cloutée.

Une fois, le docteur lui a dit :

— Le monde n’est pas de symboles. Le monde est de faits...

La pluie se déversait à l’extérieur. Le docteur sourit. Dans sa main, une pêche mûre.

Le monde n’est pas de symboles, ce monde est de faits cryptés produits par une énorme machine dans la tête de Dieu, dont une miniature est installée dans la tête de Mahmoud. Tel est le monde. Nous avons été trompés par des philosophes et des médecins qui croient tout savoir. Il existe un dieu fait d’une tête en or et un derrière en argent qui gouverne ce monde.

Parfois, Mahmoud est rationnel comme Anne. Parfois, il est dominé par la machine à fabriquer des images d’horreur qui plongent le monde dans les guerres, les inondations et les tremblements de terre.

Mahmoud rit. Il sait qu’il n’est pas le seul paranoïaque, d’ailleurs la plupart des gens sont comme lui, ils vivent comme des souris, poursuivis en permanence par des cauchemars inquiétants et des scènes horribles. Aucune association de défense des paranoïaques n’est capable d’apaiser sa terreur, pas plus que les prières des mères au bon cœur. Même le calme des personnes guéries d’une longue maladie ne lui donne pas d’espoir et le sommeil n’est plus un refuge confortable après les catastrophes de la journée, parsemée de cauchemars et de rêves dérangeants. Ni l’alcool ni les calmants ne peuvent le libérer de la peur qu’engendrent tous les mouvements dans la rue (même le chat qui fouille dans le sac à ordures, sur le chemin de sa maison, le terrorise).

Il a dit à Anne :

— Je ne peux pas arrêter cette machine qui génère des images dans ma tête, elles jaillissent comme de l’eau chaude et envahissent mon esprit. Je m’arrête au coin de la rue, comme un distributeur de journaux gratuits et les visages des gens laissent place à des crocs, des épingles et des ongles, les figures humaines deviennent bestiales, les belles croupes s’ouvrent comme une bouche d’égout pour m’avaler. Rien n’arrêtera cette machine, sauf… un coup de feu tiré par un pistolet… et la voilà désactivée.

*

Le rapport de la police dit :

« Alors qu’il se dirigeait vers la clinique du psychiatre sur le boulevard Simon Bolivar, il a fait un détour pour passer emprunter un pistolet chez un ami habitant sur la chaussée de Waterloo. Il s’est stationné dans un coin à une distance d’un magasin de chaussures d’occasion tenu par une vieille bulgare vivant à Bruxelles depuis vingt ans, et il s’est tiré une balle dans la tête. »

Anne a dit :

— Je doute que Mahmoud se soit suicidé, il ne fait de mal à personne et n’aurait pas pu se faire mal à lui-même. Il a probablement été tué par l’un des racistes qui le poursuivaient.

Le psychiatre a inscrit dans son dossier :

« Mahmoud est finalement parvenu à stopper la machine à images dans sa tête, sans l’aide de personne, il l’a arrêtée lui-même. »

Et il a fermé le dossier.

© Ali Bader et Maïté Graisse, 2018

ماكنة الصور المرعبة

علي بدر

.شيء واحد في هذا العالم لا يهمني أبداً

ما هو؟

!العالم نفسه-

هذا العالم يطاردني، حالة الطقس وعدد المؤخرات التي سوف تتشمس على شاطئ البحر. عدد السوتينات والكالسونات التي سوف تخلع وترمى على حافة السرير. أنواع علكة المراهقات في رفوف الدليز. حبوب المخدرات. حبوب منع الحمل. حبوب الكآبة والضجر. حكايات العقلاء في عيادة الطب النفسي. حبوب طرد الملل، حكايات مكسورات الفؤاد من الحب في مجلة لا في. جنون اللاجئين في بارك ماكسميليان.

خلص...لا أريد أكثر. هذه البشرية هي غائط كوني سقط من السماء في يوم ليس فيه غيم ولا مطر، فلماذا تسأل؟

كان محمود يقود سيارته لزيارة طبيبه في عيادة الطب النفسي في بولفار سيمون بوليفار. طرق بروكسل كانت ذلك اليوم الشتائي نظيفة ولامعة. غطى الشارع ثلج خفيف في الفجر غير أنه اختفى فجأة بعد أن نشرت الشمس الخجولة أشعتها الشاحبة. لكن البرد ما لبث أن اشتد بعد أن اختفت الشمس خلف الغيوم الكثيفة التي تتجمع في سماء بروكسل طوال العام من الظهيرة حتى أول ساعات العتمة. صورة محمود ظهرت في اليوم التالي في صحيفة المترو مقتولا في جادة واترلو.

كيف وصل إلى هذا المكان؟

كان من المفترض أن يكون ذلك اليوم في بولفار سيمون بوليفار في عيادة الطب النفسي وليس قرب محل أحذية مستعملة في جادة واترلو.

قال أحد أصدقائه:

أنه على الأرجح له عشيقة في ذلك المكان قد أخفى هذا الأمر عن زوجته، لكنه لا يعرف إن كان له علاقة بالأمر أم أن مقتله هو انتحار محض.

*

"قبل عامين بدأت مشكلة محمود..." قالت زوجته. وشرحت بعينين دامعتين المشكلة وهي تمسك في يدها منديلا.

"بدأت مشكلة محمود من لحظة تركه لعمله، في محل بيتزا نابولي في البورت دو نامور بسبب مشاجرة مع عنصري بلجيكي ومتطرف"

ولكن ضابط الشرطة باترك لم يفهم من آن لم لم يجد محمود عملاً آخر فيما بعد، طالما هو ماهر، كما تقول، في صناعة البيتزا وكأنه إيطالي. ذلك أنه جلس في منزله في جادة إكسل، فترة طويلة عاطلاً عن العمل، ولكن في يوم من الأيام قرر إيجاد عمل آخر غير عمل البيتزا والتظاهر أمام الزبائن بأنه إيطالي، ولفظ كلمات مثل بلا سنيوريتا، وبون بتيتو، وبيني، وهو أن يكون مشغل أو مصلح مكائن.

فأخذ يقرأ في موسوعة سميكة عن المكائن وطرق تشغيلها، اشترته له زوجته آن من مكتبة تروبيزم في غاليري دي رين. وفي لحظة حينما كان يقرأ في الموسوعة في شرفة منزله، صرخ محمود على آن وكب قدح النبيذ الأحمر على قميصه الأبيض...قال لها أنه شعر كما لو أن ماكنة ضخمة، ليست بلدوزر بالتحديد بل ماكنة بين الكرين لرفع الانقاض وماكنة تصنيع شفرات الحلاقة، تستولي على عقله.

بعد أيام تطور الأمر كثيراً، بدأت هذه الماكنة تزوده بصور اوتوماتيكية هو لا يريد أن يراها، مشاهد متنوعة ومتناقضة، أبشع ما فيها هي صور حروب قديمة، صور موتى، مذابح تاريخية، جرائم قتل عادية، مشاهد تعذيب، بل كل مصائب هذه الدنيا.

*

محمود لاجيء عراقي، شاب في الثلاثين من عمره، قدم على بروكسل منذ عشرة أعوام. عبر بحر الموت بقارب، ومشى في أوربا مطارداً من بلد إلى بلد حتى وصل إلى هنا. بعد عام درس الفلامانية وتعلمها، ثم عمل أربعة أعوام في مطعم للبيتزا تملكه سيدة إيطالية من نابولي اسمها ايزابيلا، وتزوج من آن، فتاة جميلة من كوترك، حياته معها هادئة من دون مشاكل أبدا، حتى شعر أنه نسي ماضيه تماما ولم يعد ذاته اللاجئ الذي جاء إلى بلجيكا.

لكن النقطة الفاصلة التي حدثت في حياته وغيرت مجراها هي بعد أن ترك عمله، شعر حينها أنه منبوذ على نحو ما، وفي ساعات الخلوة الطويلة حيث يبقى وحده في المنزل تهيمن عليه مشاهد وصور تزدحم في عقله حتى تشله، صور لا يريد أن يراها لكن ماكنة توليد الصور لا يمكنه إيقافها.

في صباح أحد الأيام وهو يستلم مع إعلانات دليز ونشرات الدعاية المجانية، التي توضع غصباً عنه في صندوق بريده الموضوع في الباب، رسالة من التأمين الصحي، تقدم له خيارات المصحات النفسية التي يمكن أن يتعالج بها، أخذ الرجل يتأمل وجهه في المرآة.

إنه من لحم ودم وليس من حديد ورصاص، فقد قبض عليه يوماً في بغداد مع مجموعة من الأصدقاء من قبل مليشيات دينية وحكم عليهم بالموت، أطلق الشباب الملتحون الذين يرتدون ملابس كاكية ومرقطة الرصاص عليهم، قتل الآخرون لكنه نجا فلم تصبه رصاصة، وسقط معهم وضرجته دماءهم فتظاهر بالموت، يوما كاملا أمضاه مع جثث أصدقائه لا تصدر منه أية حركة، حتى شعر لأيام أنه ميت. أصحابه شبان يشبهونه بكل شيء تقريباً، لديهم أمهات وآباء مثله، لكنه إلى الآن لا يعرف إن كانوا سيسامحونه أم لا لأنه وحده الذي نجا من المذبحة. لدى محمود أفكار غامضة عن التسامح والنسيان لكنها لا تفسر قسوة الحرب ولا الموت العبثي لشبان يقتلون لأنهم بلا لحى. وآخرون يتحولون إلى قتلة بمجرد أن يطلقوا لحاهم ويرتدوا ملابس كاكية أو مرقطة.

"لا أحد يختار حياته بنفسه .."قال له الطبيب النفسي الذي يرتدي نظارة ويشبه باستور.

"هذا أكيد" قال محمود للدكتور البلجيكي "ولكن هل لديك أجوبة أخرى، أجوبة من تلك التي لا أعرفها؟"

بعدها توقف تماماً عن الذهاب إلى المصحة.

قالت له زوجته أنه لا يحتاجها طالما هو يضاجعها ثلاثة أيام على الأقل في الأسبوع، وهو طيب وودود معها والجيران يحبونه فهم لم يشعروا بأي من أعراضه.

زوجته البلجيكية جميلة، أكبر منه بخمسة أعوام. لديها شقة واسعة في جادة آكت في السان جوس، تعمل مساعدة اجتماعية في مركز رعاية اللاجئين في الشاتو، وهناك تعرفت عليه. غير أنهما مختلفان في شيء واحد فقط، هي تريد إنجاب طفل بسرعة، قبل وصولها إلى الأربعين. لكن محمود يرفض الفكرة بحزم وصرامة نادرتين. فهو لا يعتقدها هذه الأيام صائبة، وأراد أن يفهمها بكل قوة أن أوربا مقبلة على أزمة اقتصادية مروعة، أكبر من تلك التي حدثت في الثلاثينات، هذا ما أخبرته به ماكنة الصور التي تستحوذ على رأسه، وسوف يتحول الأوربيون إلى فقراء ومشردين، وهو لهذا السبب لا يريد لطفله مصيرا أسوأ من مصيره عندما كان في العراق.

أو سيصدم الأرض جرم سماوي كبير، أكبر من الأرض بتسع مرات، ويحيلها إلى شظايا متطايرة في الفضاء، ويتحول الابن إلى قطعة لحم مع نيازك تائهة وهائمة في المجرات. وهو أمر مؤكد لا بفعل ماكنة الصورة التي تعمل ليل نهار في رأسه، إنما قرأ أشياء كثيرة في الصحف، وهو يرتعد، عن خوف العلماء من أجرام سماوية تقترب من كوكب الأرض، لكنها تغير مسارها بأعجوبة، فتفلت البشرية من دمار محتوم.

أو سيحكم النازيون مجدداً في أوربا، وسوف يشوون أبناء العرب بالأفران، فاليمين المتطرف يصعد كل يوم درجة في الحياة الاجتماعية والسياسية ولن يكون بمنأى في يوم ما عن السلطة.

*

زوجته آن لا توافقه على أفكاره السوداوية المروعة، فهي أوربية مؤمنة أن العلم والعقلانية هي ضمان السلام في أوربا لقرون قادمة، وهي سعيدة بحياتها المستقرة، حيث تستقل كل صباح المترو أو الترام في البوتانك وتذهب إلى العمل، تشبع ولعها بالتنورات القصيرة والوشوم، والبرسنغ، وتضع عقدا على عنقها اشتراه لها من المبلغ الذي يحصل عليه كلاجيء من المساعدات الاجتماعية. وهو عبارة عن مصباح علاء الدين يذكرها دائما بالمكان الذي جاء زوجها منه. وهي تتعلم العربية في المساء وتستمع إلى الأغاني الشرقية كي تصبح قريبة أكثر منه.

لكن كل هذه السعادات الصغيرة في منزله لم تنجه من التفكير بموت تراجيدي محتوم هنا في بلجيكا بواحدة من هذه الاحتمالات: إما بالموت بسبب حادث اصطدام مع سائق سكير ومتهور.

أو من سكين تشهر عليه في الظلام من يميني وهو عائد في الليل سكراناً إلى منزله.

أو من مهاجر لم يجد طريقة أخرى لشراء المخدرات غير تسليب مهاجر مثله.

أو الموت بسبب اصطدام أحد الأجرام بالأرض.

*

تستبد به بعض الأحيان رغبة وحشية في أن يملك منظاراً ويراقب الأجرام السماوية التي تبعد آلاف السنوات الضوئية، لئلا يفلت منها جرم أرعن ويصطدم بالأرض. أن يرصد كل حركة غريبة من كائنات فضائية تراقب الأرض، وستهبط في يوم على سطحه وتستغل البشر، وتقلب أنهاره إلى أنهار حمراء من دم متجمد.

في يوم أخبر آن أنه رأى عشرة كائنات غريبة من نافذته، أحدهم يقف عند منزل راق على مقربة من موقف المترو. رأسه على هيئة كأس، ويصدر الأوامر. وهنالك عمارة زجاجية شفافة كما لو صنعت من الماء. قربها منازل طابوقية وبارات فارغة. الكائنات العشرة تتحرك وفق تعليمات صارمة. تقترب من المترو لكنها لا تدخل، ثم تحصل على الأوامر فتغزو العمارات الشفافة المصنوعة من الماء. وتخرج منها بأسلحة فتاكة لتنفذ الأوامر، لقد عرف ذلك اليوم بصورة لا لبس فيها، طبيعة التهديد بانقراض الكائن البشري، أو حقيقة اختفاء هذه الأرض.

-إلى هذا القدر أن الأرض مهم وجودها؟ حالة شعرية هذه الأرض إنها استعارة مثل الاستعارات في اللغة أكثر مما هي حقيقة.

هكذا كان يفكر محمود وهو يقضي ليلة رعب. زوجته تنام في الحجرة وهو في الصالة يفتح النافذة يدخن ويراقب الفضاء لئلا يقفز أحد الكائنات من أعلى ويخرب سلام الأرض.

ولكن من أين للأرض هذا السلام؟

إنها اكتشاف بسيط في مجرة ضخمة، هي محض شعوذة من ذرات وألكترونات، والأخطار المحتملة هي بسبب هذه العشوائية التي انجمعت فيها مكوناتها. فالذعر من زوالها ليس مبرراً. إنها تراب قادم من مروحة الأفكار التي شغلتها ماكنة صور الموت والحرب في رأس محمود لا أكثر.

لقد شعر محمود بالتعب. بالاستنزاف. لا يمكنه أن ينظر بصفاء وهدوء إلى هذا العالم. الأصوات في الخارج تزعجه، صوت عجلات المتورسكلات في الشارع، صوت الترام قرب منزله وهو يقرع الجرس، صوت محرك الطائرات القادمة من مطار زفتان في سماء بروكسل، ماذا يصنع؟ هل يصرخ، يبكي، هل يقبل أيدي المارة الذين يتكلمون بحهاز الموبايل ويصدرون أصواتا مزعجة، أن يتوقفوا عن الضجيج؟

في يوم كان يتوسل طبيبه النفسي بمذلة أن يوقف هذه الماكنة التي في رأسه، أن يعطلها. فهي تنتج صوراً غريبة لا رابط بينها، ماكنة لا تتوقف عن إنتاج جمل عشوائية عن الموت والحياة. عن الجنس والبوليت. عن نشرات الدعاية لدليز والآلدي ورسائل محلية السان جوس. عن الغوفر والقمل. عن السكارى في محطة النورد وصورة رئيس المحلية في الانتخابات. عن بيرة اللف ووشم يميني متطرف مكتوب فيه Ik haat Arabieren. صور متناقضة في رأسه لا يعرف كيف يوقفها. يشعر ساعات بأنه تحول إلى دجاجة حية وضعت في فرن. أو قرد يضربونه على مؤخرته بلوح من الخشب المسمر.

قال له الطبيب مرة:

-العالم ليس رموزا. العالم حقائق.. كان المطر ينهمر في الخارج. الطبيب يبتسم وفي يده خوخة ناضجة. العالم ليس رموزا، هذا العالم حقائق مشفرة تنتجها ماكنة ضخمة في رأس الله، واحدة مصغرة منها في رأس محمود. هذا هو العالم. خدعنا الفلاسفة والأطباء الذين يعتقدون أنهم يعرفون كل شيء. هنالك إله مصنوع من رأس مذهب ومؤخرة فضية يتحكم في هذا العالم.

يصبح محمود أحيانا عقلانيا مثل آن، وأحيانا أخرى تسيطر عليه ماكنة لتصنيع الصور المرعبة فيغرق هذا العالم بالحروب والفيضانات والزلازل.

ضحك محمود، لقد عرف أنه ليس وحده المذعور في هذا العالم، إنما أكثر الناس مثله، يعيشون عيشة الفئران، يعيشون في مطاردة دائمة وبكوابيس شريرة ومشاهد مرعبة. لا جمعيات الدفاع عن المذعورين يمكنها أن تهدئ روعهم ولا صلوات الأمهات الطيبات القلب، ولا المعافون أصحاب الأمزجة الهادئة يخلصونهم مما هم عليه، حتى النوم لم يعد مأمناً مريحاً من كوارث النهار، فقد تخللته الكوابيس والأحلام المزعجة، لا شرب الكحول ولا الحبوب المهدئة قادرة أن تعفيه من الخوف من كل حركة في الشارع، حتى القطة التي تبحوش في كيس الزبالة وهو عائد إلى المنزل، تثير رعبه.

قال لآن: لا أستطيع أن أوقف هذه الآلة التي تولد الصور في رأسي، إنها تتدفق مثل ماء ساخن وتغزو عقلي، أقف على ناصية الطريق مثل موزع الصحف المجانية تختفي الوجوه وتظهر محلها أنياب ودبابيس وأظافر، تتحول وجوه البشر إلى وجوه حيوانات، حتى المؤخرات الجميلة تنفتح مثل بالوعة كي تبتلعني. هذه الماكنة لن يوقفها شيء إلا إطلاقة مسدس ويتم تعطيلها.

*

تقرير الشرطة يقول أنه أثناء ذهابه إلى عيادة الطب النفسي في بوليفار سيمون بوليفار حرف سيارته وذهب لصديق يقطن في جادة واترلو لاستعارة مسدس منه، توقف بسيارته في زاوية بعيدة من محل بيع أحذية مستعملة تديره عجوز بلغارية تعيش في بروكسل منذ عشرين عاماً، وأطلق النار على رأسه.

قالت آن:

أنا أشك أن ينتحر محمود، إنه لا يؤذي أحداً، ولا يمكن أن يؤذي نفسه. على الأرجح أنه تعرض لحادث قتل من أحد العنصريين الذين كانوا يطاردونه.

كتب طبيبه النفسي على الملف:

أخيراً تمكن محمود من إيقاف ماكنة الصور في رأسه، من دون مساعدة، لقد أوقفها بنفسه. وأغلق الملف.

La machine aux images effrayantes

Ali Bader

Traduit de l’arabe par Ahmed Hilaly

— Une seule chose dans ce monde ne m’intéresse pas.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Le monde lui-même !

Ce monde me poursuit : la météo et le nombre de fesses qui bronzeront sous le soleil à la mer ; le nombre de soutiens-gorge et de slips qui seront ôtés et jetés sur le bord de lit ; les types de chewing-gums des adolescentes dans les rayons de Delhaize ; les comprimés de drogues, les pilules, les comprimés contre la mélancolie et l’ennui ; les histoires des sages dans la clinique psychiatrique ; les comprimés contre la lassitude ; les histoires de chagrins d’amour des femmes dans le magazine La Vie ; la folie des réfugiés dans le Parc Maximilien.

Ça suffit… Je n’en peux plus. Cette humanité est une merde universelle qui est tombée du ciel un jour sans nuages et sans pluie. Pourquoi donc m’interrogez-vous ?

Mahmoud conduisait sa voiture pour aller chez son psychiatre, boulevard Simon Bolivar. Les rues de Bruxelles étaient ce jour-là propres et étincelantes. À l’aube, la rue était légèrement couverte de neige qui a soudainement disparu après que le soleil timide a diffusé ses rayons pâles. Mais le froid n’a pas tardé à s’intensifier une fois que le soleil s’était caché derrière les nuages denses qui prenaient place dans le ciel de Bruxelles, toute l’année, de midi jusqu’aux premières heures du soir. La photo de Mahmoud est apparue le jour suivant dans les pages du journal Métro — tué en pleine chaussée de Waterloo.

Comment est-il arrivé là ? Il était censé se trouver ce jour-là sur le boulevard Simon Bolivar dans le cabinet de psychiatrie, pas à côté d’un magasin de chaussures de seconde main sur la chaussée de Waterloo.

L’un de ses amis a dit :

— Il avait probablement une maitresse là-bas, à l’insu de sa femme.

Cependant il ne savait pas si ceci avait un lien avec sa mort ou s’il s’agissait purement et simplement d’un suicide.

*

— Il y a deux ans, le problème de Mahmoud a commencé… , a dit sa femme. Et elle expliquait, les larmes aux yeux et un mouchoir à la main : Le problème de Mahmoud a commencé quand il a quitté son travail dans la pizzeria Napoli près de Porte de Namur, après une dispute avec un Belge raciste et extrémiste.

Cependant, Patrick, l’officier de police, ne comprenait pas dans les explications d’Anne pourquoi Mahmoud n’avait pas trouvé un autre travail, puisqu’il était doué, ainsi qu’elle le racontait, pour préparer les pizzas comme s’il était italien.

Pendant longtemps, il est resté dans son appartement sur la chaussée d’Ixelles, sans travail. Et puis un jour il a décidé de changer de métier : il ne voulait plus faire de pizza et jouer l’Italien devant les clients en prononçant des mots comme bella signora, buon appetito, bene, et il a décidé de devenir technicien des machines.

Il a commencé à lire une épaisse encyclopédie au sujet des machines et de leur fonctionnement, que sa femme lui avait achetée dans la librairie Tropismes, dans les Galeries Royales. Tout à coup, alors qu’il lisait son encyclopédie sur le balcon, il a appelé sa femme « Anne ! » et a renversé le verre de vin rouge sur sa chemise blanche … Il lui a dit qu’il avait l’impression qu’une machine géante, pas exactement un bulldozer, mais plutôt quelque chose entre la grue à soulever des décombres et la machine à fabriquer des rasoirs, dominait sa raison.

Quelques jours plus tard, la situation s’est aggravée. La machine a commencé à lui montrer des images automatiques qu’il ne voulait pas voir, des images variées et contradictoires. Le pire, c’étaient les images des anciennes guerres, des cadavres, des massacres historiques, des crimes, les images de torture, tous les drames du monde.

*

Mahmoud est un refugié irakien, un jeune homme de trente ans, arrivé à Bruxelles il y a dix ans. Il a traversé la mer de la mort à l’aide d’un bateau, il a parcouru l’Europe, chassé de pays en pays pour finir ici. Après un an, il a appris le néerlandais, puis il a travaillé pendant quatre ans dans une pizzeria appartenant à une certaine Isabella, Italienne originaire de Naples. Il s’est marié avec Anne, une femme charmante de Courtrai. Avec elle, sa vie est calme, sans soucis ni problèmes. Avec elle, il sent qu’il a complètement oublié son passé et qu’il n’est plus ce même refugié arrivant en Belgique. Le point marquant qui a changé sa vie, c’est quand il a quitté son travail. Un sentiment de solitude et de délaissement l’a submergé. Durant les longues heures de solitude à la maison, son cerveau débordait des images et des scènes jusqu’à le paralyser, des images qu’il ne voulait pas voir, mais la machine génératrice des images ne s’arrêtait pas.

Un matin, en recevant — avec le catalogue du Delhaize et d’autres imprimés publicitaires qu’on déposait sans son consentement dans sa boite aux lettres accrochée à la porte - une lettre de sa mutualité lui proposant un choix de cliniques de psychiatrie dans lesquelles il pouvait recevoir des soins, il a contemplé son visage dans le miroir.

Il était en chair et en os et pas en fer et en plomb. À Bagdad, un jour, il avait été arrêté en compagnie de ses amis par des milices religieuses vêtues d’uniformes kaki ou tachetés. Ils avaient été condamnés à mort. Les jeunes barbus avaient tiré sur eux, ils avaient tué ses amis mais lui s’en était sorti sain et sauf, sans être touché d’une balle. Il était tombé entre eux, taché de leur sang, jouant le mort. Il avait passé une journée complète parmi leurs cadavres, sans aucun mouvement, au point qu’il s’était senti comme mort pendant des jours. Ses amis étaient des jeunes qui lui étaient semblables presque en tous points, ils avaient une mère et un père comme lui, mais il ne savait toujours pas s’ils allaient lui pardonner ou non d’avoir été le seul survivant de la tuerie. Mahmoud avait des idées ambiguës à propos de la tolérance et l’oubli, mais elles n’expliquaient ni la cruauté de la guerre ni la mort absurde des jeunes, tombés parce qu’ils ne se laissaient pas pousser la barbe — alors que d’autres se transformaient en tueurs juste en se laissant pousser la barbe et en revêtant un uniforme kaki ou tacheté.

— Personne ne choisit sa vie, lui a dit le psychiatre, qui portait des lunettes et ressemblait à Pasteur.

— Ça, c’est sûr, a répondu Mahmoud au docteur belge, « Mais avez-vous d’autres réponses, des réponses que je ne connais pas déjà ?»

Dès lors, il a cessé complètement de fréquenter la clinique.

Sa femme lui a dit qu’il n’en avait pas besoin, puisqu’il faisait l’amour avec elle au moins trois fois par semaine, qu’il était gentil, que les voisins l’aimaient et qu’ils ne s’étaient pas rendu compte de ses symptômes.

Sa femme est belge, belle, de cinq ans son aînée. Elle a un appartement spacieux situé sur la chaussée d’Ixelles. Elle travaille comme assistante sociale dans le centre Petit-Château pour réfugiés, là où il l’a rencontrée. Une seule chose les différencie, c’est qu’elle a hâte d’avoir un enfant avant quarante ans, alors que Mahmoud rejette l’idée avec une fermeté et un sérieux rarissimes. Il ne croit pas qu’elle ait raison de vouloir un enfant à cette époque, et il a tenté de toutes ses forces de lui faire comprendre que l’Europe allait vivre une crise économique terrible, plus grande que celle des années trente et que les Européens allaient se transformer en pauvres vagabonds — c’est ce que lui a inspiré la machine aux images qui dominait sa tête. Il ne souhaite pas pour son enfant un destin pire que le sien quand il était en Irak.

Il pense aussi qu’un grand corps céleste, neuf fois plus grand que la Terre, pourrait heurter la planète, la transformer en fragments volant dans l’espace, métamorphosant l’enfant en morceaux de chair avec des astéroïdes errantes et perdues dans les galaxies. C’est pour lui une certitude, et non pas le résultat de la machine aux images qui fonctionne jour et nuit dans sa tête : il a assez lu dans les journaux, en tremblant, sur les scientifiques craignant les corps célestes qui s’approchent du globe terrestre et qui changent miraculeusement leur chemin, évitant ainsi à l’humanité un désastre certain.

Autre possibilité : les nazis vont à nouveau gouverner l’Europe, et ils vont faire griller les fils des Arabes dans des fours. En effet, l’extrême droite qui monte chaque jour d’un degré sur l’échelle de la vie politique et sociale européenne n’est pas loin de gouverner un jour.

*

Sa femme, Anne, n’accepte pas ses idées mélancoliques et terribles. C’est une Européenne, elle croit que la science et le rationalisme sont la garantie de la paix en Europe pour les siècles prochains. Elle est heureuse de sa vie stable. Chaque jour, elle prend le métro ou le tram à partir de la station Botanique pour rejoindre son travail. Elle est satisfaite avec ses jupes courtes, ses tatouages, ses piercings et le collier qu’elle porte autour du cou. Ce collier qu’il lui a acheté avec son propre argent reçu comme aide sociale grâce à son statut de réfugié. Ce collier est comme une lampe d’Aladin qui lui rappelle toujours le pays d’origine de son mari. Le soir, elle étudie la langue arabe et écoute de la musique orientale pour se rapprocher de lui.

Malheureusement, tous ces petits bonheurs qu’il vit dans son appartement ne l’empêchent pas d’imaginer une mort tragique et fatale en Belgique, selon l’un des scénarios suivants :

- Par un accident causé par un conducteur ivre et maladroit.

- Par un couteau d’extrémiste de droite, la nuit, sur le chemin de son appartement, alors qu’il marche ivre.

- Par un immigré qui n’a pas d’autre solution pour obtenir sa dose de drogue que de voler un autre immigré.

- Par le crash d’un corps céleste contre la planète.

*

Parfois, un désir sauvage de posséder un télescope l’obsède, il veut surveiller tous les astres qui se trouvent à des milliers d’années-lumière, et éviter tout crash éventuel d’un corps maladroit contre la planète Terre. Il veut pouvoir détecter tout mouvement étrange des créatures extraterrestres qui surveillent la Terre et qui pensent y atterrir un jour pour exploiter les humains et transformer ses rivières en rivières rouge de sang coagulé.

Un jour, il a informé Anne qu’il avait vu par sa fenêtre dix créatures étranges, l’une d’elles se tenait à côté d’une maison luxueuse toute proche d’une station de métro. Sa tête en forme de coupe émettait des ordres. Il y avait un immeuble en verre transparent comme s’il était fait d’eau. À côté, des maisons en briques et des tavernes vides. Les dix créatures bougeaient selon des ordres fermes. Elles s’approchaient du métro sans y accéder. Elles avaient reçu de nouveau des ordres puis avaient envahi les immeubles transparents. Elles en étaient ressorties munies d’armes destructives pour exécuter les ordres. Ce jour-là, il a compris clairement la nature du risque d’extinction que courent les êtres humains, autrement dit, la vérité de la disparition de la planète.

— L’existence de la planète est-elle importante ? Cette planète est un cas poétique, elle ressemble aux métaphores dans la langue plus qu’à une vérité.

C’est ainsi que Mahmoud pensait pendant sa nuit de terreur. Sa femme dormait dans la chambre alors que lui occupait le salon. Il a ouvert la fenêtre pour fumer et surveiller l’espace et éviter qu’une créature ne saute du ciel et ne détruise la paix sur Terre.

— Mais, la Terre, où se procure-t-elle cette paix ?

C’est une simple découverte dans une galaxie géante, c’est une pure sorcellerie d’atomes et d’électrons. Les éventuels risques découlent de ce hasard dans lequel se regroupent toutes ses composantes. La peur de sa disparition n’est pas justifiée. C’est juste de la poussière provenant du ventilateur des idées déclenchées par la machine aux images de mort et de guerre dans la tête de Mahmoud.

Il se sentait fatigué, épuisé. Il ne pouvait pas regarder ce monde nettement et calmement. Les sons à l’extérieur le dérangeaient, le son des roues des motocycles dans la rue, le son du tram klaxonnant devant sa maison, le son des avions décollant de Zaventem dans le ciel de Bruxelles. Que faire ? Crier, pleurer, baiser les mains des passants utilisant leurs GSM et émettant des sons dérangeants pour qu’ils cessent ?

Un jour, il avait supplié avec humilité son psychiatre d’arrêter cette machine dans sa tête, de la désactiver. Elle produisait des images étranges et déconnectées. Elle ne cessait pas de produire des phrases aléatoires sur la mort et la vie, sur le sexe et les boulettes, sur les dépliants publicitaires du Delhaize, du Aldi et des lettres de la commune d’Ixelles, sur les gaufres et les poux, sur les ivrognes à la gare du Nord et le portrait du bourgmestre d’Ixelles pendant les élections, sur la bière Leffe et le tatouage d’un extrémiste qui dit « Ik haat Arabieren ».

Des images contradictoires dans sa tête qu’il ne savait pas comment arrêter. Parfois, il se sentait comme une poule mise dans un four vivante. Ou un singe que l’on frappe avec un morceau de bois épineux.

Un jour, le docteur lui a dit :

— Le monde n’est pas fait de symboles. Le monde est fait de vérités…

Il pleuvait dehors, le docteur souriait, tenant une pêche mûre à la main.

Le monde n’est pas de symboles, mais de vérités chiffrées produites par une machine géante dans la tête de Dieu et par une petite dans la tête de Mahmoud. Le monde est ainsi, les philosophes et les médecins nous ont trahis, eux qui croyaient tout savoir. Un dieu fabriqué avec une tête d’or et des fesses d’argent gouverne le monde.

Tantôt Mahmoud était aussi rationnel qu’Anne ; tantôt il était dominé par la machine aux images terribles qui émerge de ce monde de guerres, d’inondations et de séismes.

Mahmoud rit, il a bien compris qu’il n’est pas le seul à être effrayé dans ce monde. La majorité des gens sont comme lui. Ils vivent une vie de souris, éternellement chassés, avec des cauchemars et des images terribles. Les associations de défense des effrayés ne pourraient pas apaiser leurs peurs, ni même les prières des mères au bon cœur ou le calme des personnes guéries ne pourraient les sauver. Même dormir ne les épargne pas des catastrophes du jour, interrompu de cauchemars et de rêves dérangeants. Ni l’alcool ni les comprimés calmants ne sont capables de lui faire oublier les mouvements dans la rue. Même le chat fouillant le sac poubelle, sur le chemin du retour, le terrorise.

Il a dit à Anne :

— Je ne peux pas arrêter cette machine qui produit des images dans ma tête, elles coulent comme de l’eau chaude et envahissent mon cerveau. Je m’arrête au bord de la rue comme un distributeur de journaux gratuits. Les visages disparaissent et à leur place je vois naitre des canines, des ongles et des épingles. Les figures humaines se métamorphosent en figures animales. Même les belles fesses s’ouvrent grand comme égout en essayant de me dévorer. Rien ne peut arrêter cette machine — sauf la balle d’un pistolet… tac, tac, et la voilà désactivée.

*

Le rapport de la police dit :

« En chemin vers la clinique du psychiatre située sur le boulevard Simon Bolivar, il a fait un détour pour aller chercher un pistolet chez un ami résidant sur la chaussée de Waterloo ; il s’est garé dans un angle à une certaine distance d’un magasin de chaussures de deuxième main géré par une veille Bulgare vivant à Bruxelles depuis vingt ans ; il s’est tiré une balle dans la tête. »

— Je doute que Mahmoud se soit suicidé », a dit Anne. « Il n’est pas agressif, il ne peut pas se faire mal. Il est fort probable que l’un des extrémistes qui le poursuivaient l’ait tué. »

Le docteur a écrit dans son dossier :

« Enfin Mahmoud a pu arrêter la machine aux images dans sa tête, sans aucune aide, il l’a arrêtée lui-même », puis il a fermé le dossier.

© Ali Bader et Ahmed Hilaly, 2018
02.01.2019