Found in Translation : Marek Šindelka

13.11.2019
Traduction littéraire
Sindelka Zustante

Durant sa résidence à Passa Porta au mois d’octobre, le jeune écrivain tchèque Marek Šindelka a assisté à notre atelier de traduction Found in Translation, dédié cette fois-ci à une scène cruciale de sa nouvelle Zůstaňte s námi (‘Restez avec nous’). Vous pouvez maintenant comparer les résultats de l’atelier : la version de Jan Rubeš, le traducteur littéraire qui a accompagné l’atelier, et celle de la participante, Barbora Bučková.

Marek Šindelka (1984), qui n’est malheureusement pas encore traduit en français, est généralement considéré comme la voix littéraire la plus importante de sa génération en République tchèque. Parmi ses titres principaux, nous citons les romans Mapa Anny (« La carte d’Anna ») et Únava materiálu (« La Fatigue de la matière »). Voir aussi mareksindelka.com.

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Restez avec nous (extrait)

Traduit par Jan Rubeš

— Mais comment peux-tu être si méchant !

— C’est mieux que d’être naïf !

— Tu penses à moi ?

— A toi, aussi

— T’es vraiment un idiot.

Nous jouons encore ainsi un instant au ping-pong. Mais on ne voit plus la balle, les coups pleuvent dans l’air et nous devenons grotesques. Si quelqu’un nous observait, il serait mort de rire. Mais, au plus nous devenons grotesques, au plus nous devenons irrités. Viennent des coups sous la ceinture. Et soudain nous en étions à un point où quelque chose devait arriver, quelque chose de terrible, quelque chose comme une gifle, pif paf. Puis on boude pendant quelques heures, on se froisse, on rumine des injustices dont nous sommes victimes, puis ce sentiment de tristesse, la perte de repères, avec qui est-ce que je vis, etc. La réconciliation, l’amour, et tout continue. Mais on ne peut pas se gifler ici, les gens commencent déjà à nous regarder, sur Andréa ça glisse comme sur un paratonnerre et elle m’écrase le pied. J’en suis si surpris que j’éclate de rire. Andrea, dieu sait pourquoi, éclate aussi de rire. Puis, elle me donne un coup de pied si violent dans la cheville que je vois des étoiles danser. J’en ris, mais pourquoi, parce que cela me fait si mal ? Je ne vois aucune autre raison. Je desserre ma mâchoire, j’essuie une larme qui a jailli, un petit rire et je soupire. Andrea a disparu. Je me fraie un passage à travers les gueules ébahies. J’arrive à la rattraper près des vestiaires. Je vois que ça ne va pas.

Je viens de fermer la porte. Je sens l’odeur de l’adoucissant. La propreté. Notre appartement. Un bol près de la porte. Il est vide. On était partis toute la journée. C’est pour ça que l’estomac de notre chat gargouille. Je repousse de mon pied ce frottement insatiable, ce ronronnement, ce miaulement. L'animal est désorienté, il va se blottir contre ma chaussure fichée dans un coin. Mais la chaussure ne va pas le nourrir, rien à manger et nous avons d’autres choses à faire. Il te faudra attendre jusqu’au matin, le sot. T’es ici de trop. Je ris à nouveau. J’enlève ma veste humide de transpiration, je la lance, je déboutonne ma chemise. Andrea est dans la salle de bain, elle se démaquille, respire contre le miroir, je l'embrasse sur son épaule, elle me repousse, je l’embrasse sur sa nuque, Chanel, les cigarettes, un goût salé, elle essaie de se dérober, je l’attire vers moi elle s’échappe et s’en va. Je la suis. Je la saisis par la main, elle la retire par un mouvement brusque et là nous sommes déjà dans la salle à manger. Je l’attrape et la balance sur la table, elle donne des coups de pied mais ça commence à lui plaire, on se bagarre un peu, on s’embrasse un peu et du coup on est l’un dans l’autre. Le vase tombe de la table, puis la salière, le bruit du verre brisé et de la porcelaine puisque nous, on ne range jamais après le petit-déjeuner. Andrea mord dans mon épaule, fort, car je vois du sang sur sa lèvre supérieure et je la tiens clouée sur la table. Finalement, on tombe, la table aussi, ça a failli tuer le chat parce qu’il traîne toujours partout, on renverse l’étagère avec des fleurs, la terre humide, des éclats du pot, l’odeur juteuse des racines, ça sent comme après un orage et nous, au milieu de tout ça. On est sourds, on est aveugles, on le fait à cent manières, cent positions, le grincement du terreau sur le parquet, Andrea prend un tesson du pot et essaie de me l’enfoncer dans la peau mais je lui tords le bras derrière le dos, puis je la retourne, j’attrape la tige brisée du ficus benjamina et je lui tape dessus jusqu’à ce que j’aie mal à la main. Là-dessus je l’encule, elle me gifle, je la laisse faire, elle me frappe avec un presse-papiers et me casse le nez. Et puis, nous restons couchés, nous respirons, nous nous enlaçons mais c'est comme serrer une tronçonneuse avec le moteur coupé. On reste couchés, sans pouvoir bouger, où d’ailleurs, au-delà de tout cela commence la vie, mais on ignore ce qui nous y attend, on préfère rester couchés et respirer. Le chat tourne autour de nous, ça sent l’orage, je touche mon nez, je secoue un peu l’os, ça pique, à une heure et demie Andrea se lève et sans mot dire va dans la salle de bain. On peut entendre chaque mouvement à travers la porte. Elle pleure.

(…)

Zůstaňte s námi (výňatek)

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“Proboha, víš jak ty umíš bejt zlej?“

„Lepší než bejt naivní.“

„To myslíš mě?“

„Taky.“

„Jsi fakt idiot.“

„Jak myslíš.“

Ještě chvíli hrajeme ping pong. Jenže míček už vidět není, údery naprázdno tlučou vzduch a my jsme najednou skutečně směšní. Kdyby nás někdo viděl, smíchy by se musel udusit. Jenže úměrně naší směšnosti v nás narůstá zlost. Párkrát se bodneme do slabin. Ani se pořádně nestihneme rozkoukat a už jsme docválali do momentu, kdy by se mělo stát něco strašného, nejspíš facka, bum prásk, pár hodin trucování, vzájemné dotčenosti, přežvykování všelijakých křivd, pak trochu pocity smutku, dezorientace, s kým já to žiju atd., usmíření, láska, jedeme dál. Jenže tady facku jaksi nelze – už tak se po nás lidé otáčejí – a tak to všechno po Andrei sjede jak po hromosvodu a ona mi dupne na nohu. To mě tak překvapí, že vyprsknu smíchy a Andrea – věci mezi nebem a zemí – taky vyprskne smíchy, jenže hned mě vší silou nakopne do kotníku, až se mi zatmí před očima. Směju se – asi tomu, jak to bolí – co jiného je tady k smíchu? Povolím stisk čelistí, utřu vyklouzlou slzu, ještě trochu se uchechtnu, vzdychnu. Andrea je pryč. Proderu se skrz zkoprnělé ksichty. Doběhnu ji u šaten. Je zle.

Zabouchl jsem dveře. Pach aviváže. Čisto. Náš byt. U dveří miska. Prázdná. Od rána jsme pryč. Kručí nám z toho v kočce. Nohou odstrkuju to dotěrné vlnění, předení a mňoukání. Zmatené zvíře se začne lísat k botě, kterou jsem odkopl do rohu. Jenže bota jí nekrmí a nekrmí a my máme jiné věci na práci. Budeš si muset počkat do rána, ty hloupý přebytečný tvore. Zasměju se. Svléknu zpocené sako, zahodím, rozepnu košili, Andrea v koupelně, smývá líčidla, dýchá do zrcadla, políbím ji na rameno, odstrčí mě, políbím ji na šíji, chanell, cigarety, trošičku slaná, ucukne, přitáhnu jí k sobě, vysmekne se, jde pryč. Jdu za ní. Chytnu ji za ruku, trhnutím jí vyprostí, a to už jsme v jídelně a já Andreu popadnu a hodím na stůl, trochu kope, ale asi už jí to taky začalo bavit, takže se trochu pereme, trochu líbáme a za chvíli už jsme v sobě, a ze stolu padá váza a solnička a tříští se sklo a nějaký porcelán, protože po snídani nikdy nesklízíme a Andrea mě kousne do ramene, hodně, protože má teď na horním rtu krev a já jí držím přibitou na desce stolu a nakonec spadneme i se stolem a málem usmrtíme kočku, která je vždy a všude a shodíme polici s květinama, mokrá hlína a hliněné střepy a šťavnaté pachy kořenů, smrad jak po bouřce, v tom všem my, hluchota a slepota na sto způsobů, na sto poloh, skřípot hlíny o parkety, Andrea popadne ostrý kus květináče a zkouší mě s ním bodnout, jenže já jí zkroutím ruku za záda, otočím jí, popadnu polámaný fikus benjaminus a seřežu ji tak, až mě z toho bolí ruka, pak jí to udělám análně, ona mě zfackuje, nechám se, praští mě těžítkem a rozbije mi nos, pak už jen ležíme a dýcháme, obejmeme se, ale je to jak sahat na vypnutou motorovou pilu, ležíme, nemůžeme se pohnout, není kam, za tím objetím začíná život, není jasné, co se tam po tomhle bude dít, radši ležíme a dýcháme, kolem obchází kočka, kolem páchne bouřka, sáhnu si na nos, pohnu s kostí, štípe to, v půl druhé Andrea mlčky vstane a odejde do koupelny. Přes dveře je slyšet každý pohyb. Pláče.

(…)
© Marek Šindelka & Odeon publishers, 2011

Restez avec nous (extrait)

Traduit par Barbora Bučková

— Merde! Est-ce que tu te rends compte, comme tu peux être méchant !

— C’est mieux que d’être naïf !

— Tu me traites de naïve ?

— Toi, aussi.

— Mais tu n’es vraiment qu’un con.

— C’est toi qui le dis.

Nous continuons à jouer ce ping-pong de mots alors qu’entretemps notre balle n’est plus visible. Les frappes touchent l’air en vain; nous sommes devenus vraiment ridicules. Si quelqu’un nous observait, il serait mort de rire. Mais, au plus nous sommes ridicules, au plus nous devenons en colère. Nous nous lançons quelques coups en dessous de la ceinture. Et puis en peu de temps, nous sommes arrivés en galopant à un point où quelque chose de terrible devait arriver. Une gifle peut-être ! Pif ! Paf ! Et puis bouder pendant quelques heures, nous sentir offensés, ruminer au sujet des diverses injustices commises à notre égard, puis un peu de sentiment de tristesse, la désorientation, avec qui est-ce que je vis ici, la réconciliation, l’amour et on reprend la route. Mais on ne peut pas se gifler ici. Les gens autour commencent déjà à nous regarder, du coup tout cet énervement passe par Andrea comme par un paratonnerre et elle me marche sur le pied. J’en suis tellement étonné que j’éclate de rire et Andrea, pour une raison inexplicable, éclate de rire aussi. Puis, elle me donne un coup de pied dans la cheville avec une telle force que je vois des étoiles danser. J’en ris. Je ris de ma douleur peut-être, parce qu’il n’y a pas d‘autre raison pour rire. Je relâche la tension dans ma mâchoire, j’essuie une larme qui a coulé sur mon visage, j’éclate encore de rire, je gémis. Andrea a disparu. Je me fraie un passage à travers les gueules étonnées. J’arrive à la rattraper au niveau des vestiaires. Je vois que ça ne va pas.

Je ferme la porte en claquant. Je sens l’odeur de l’adoucissant. La propreté. Notre appartement. Il y a un bol près de la porte. Il est vide. On était parti toute la journée. C’est pour ça que l’estomac de notre chat gargouille. Je repousse du pied cette vague, ce ronronnement, ce miaulement. L’animal perdu se met à se blottir contre ma chaussure lancée dans un coin. Malgré ça, la chaussure ne se met pas à nourrir l’animal, et non et non, et nous sommes occupés à d’autres choses. Tu seras obligé d’attendre jusqu’au matin, le sot. Un être de trop. Je ris à nouveau, j’enlève ma veste pleine de transpiration, je la lance, je déboutonne ma chemise. Andrea est dans la salle de bain, elle se démaquille, elle respire sur le miroir. Je l’embrasse sur l’épaule. Je sens le Chanel, les cigarettes, un peu de sel. Elle me repousse, je l’attire vers moi, elle s’échappe et s’en va. Je la suis. J’attrape sa main, elle se retire par un mouvement brusque et à ce moment-là, nous sommes déjà dans la salle à manger et je la saisis et la lance sur la table. Elle donne des coups de pied, mais elle doit déjà prendre son pied, on enchaîne la bagarre avec les baisers et en peu de temps on est l’un dans l’autre. Le vase tombe de la table et puis la salière, le verre se brise et puis la porcelaine, puisque nous, on ne range jamais après le petit-déjeuner. Andrea mord dans mon épaule, fort, car je vois du sang sur sa lèvre supérieure et je la tiens clouée sur la table et finalement, on tombe même avec la table et on manque de tuer le chat parce qu’il traîne toujours partout. Nous faisons tomber l’étagère avec les fleurs, la terre humide sur le sol, des éclats du pot, l’odeur juteuse des racines, ça sent comme après un orage et dans tout ça, nous. La surdité et l’aveuglement dans 100 positions et fait selon 100 manières, le grincement du terreau sur le parquet. Andrea prend un débris du pot de fleurs et essaie de m’atteindre pour me donner un coup, mais je tourne son bras derrière son dos et puis je la retourne, j'attrape la tige abîmée du ficus benjamina et je la frappe avec jusqu’au moment où je n’en peux plus, tellement ma main me fait mal. Je la prends par derrière, elle me gifle, je la laisse faire, elle me frappe avec un presse-papiers et me casse le nez. Et puis, nous restons couchés, nous respirons, nous nous enlaçons mais c’est comme toucher une tronçonneuse éteinte. On reste couchés, on n’arrive plus à bouger, il n’y a nulle part où aller. Au-delà de notre câlin, commençe une nouvelle vie, mais on ne sait pas laquelle. Donc, on préfère rester couchés et respirer. Le chat tourne autour de nous, ça sent l’orage. Je touche mon nez, je bouge avec l’os, mais ça pique. Andrea se lève à une heure et demie et sans un mot va dans la salle de bains. On peut entendre chaque mouvement à travers la porte. Elle pleure.

(…)

13.11.2019