« La nuit permet des fantaisies. La littérature aussi. »

Pascale Fonteneau
24.09.2018
Texte d’auteur
Header Site Lnde

« L’intimité de la littérature est aussi celle de la nuit »
Auteur française vivant à Bruxelles, Pascale Fonteneau a participé à la création de Passa Porta en 2004. Elle y était de retour, dans le public, pour la première « Nuit des écrivains », organisée en partenariat avec La Première en novembre 2017. Récit.

Quand le corps est endormi, les rêves nous font parfois vivre des fictions qui ressemblent à la réalité. Tout est vrai et faux. Les périples sont inattendus et les destins souvent extravagants. On est jeune et vieux. On parle d’autres langues. On voyage loin pour se retrouver chez soi. On déjeune avec des inconnus, des collègues, des célébrités dont on partage la vie. On monte dans des voitures, des avions. On patiente. On voyage. On court dans la forêt. On se cache, on se bat. On caresse aussi le visage d’amants dont on a perdu la trace depuis longtemps. On sent pourtant leur peau et leur parfum. On croise des morts et des vivants. On rit, on a peur, on a froid. La nuit permet ces fantaisies. La littérature aussi.

Au fil des pages, n’importe quelle histoire dessine des paysages qui s’affichent dans notre esprit comme de nouveaux horizons. Les commerces, les bâtiments officiels, les parcs sont ceux d’un quartier dont on pourrait dessiner le plan. Les personnages deviennent des amis, des cousins, des voisins. Tout ce qui les concerne nous concerne aussi. Avec eux, nos consciences s’interrogent : faut-il l’aimer ou pas? Pourquoi le blesser ou la trahir ? Faut-il partir ou rester ? Parler ou se taire ? Autant de questions dont on a, nous aussi, si souvent débattu derrière nos paupières closes.

Un secret chuchoté

Vaniteux, on se dit que notre expérience pourrait profiter à ces héros, comme la leur nous profitera peut-être. On aimerait leur parler de cela et de tant d’autres choses, mais ces conversations sont impossibles. On aura beau crier, ils ne nous entendront pas. Ces mondes imaginaires sont toujours silencieux. Fêtes, orages, tempêtes, guerres et bombardements ne troublent dans les livres que ceux qui les écrivent et ceux qui les lisent. Comme un secret chuchoté. Cette intimité est aussi celle de la nuit, parenthèse où les propositions sont toujours audacieuses. Comme celle faite aux amoureux des livres de passer la nuit ensemble, au bout de ce couloir si familier.

Ce soir-là, on a envie d’y être, mais on est aussi tenté de ne pas y aller, la journée a été longue, on vient à peine de rentrer et dehors il fait froid. Froid et noir depuis le milieu de l’après-midi. Le mois de novembre n’est jamais engageant. On mange pour gagner du temps. Sortir/ne pas sortir. Le dilemme nous fait honte. Finalement on se décide et on commande un taxi pour ne pas être en retard. On traverse la ville à toute vitesse et on arrive avec un peu d’avance. Curieux toujours de revenir ici où il y a tant de souvenirs. Paul (Buekenhout, également fondateur de Passa Porta, NDLR) ne sera pas sur la terrasse et il n’y a plus de raison de s’assurer que les chaises sont bien alignées et le bruyant chauffage poussé à fond. Tout est déjà en place.

L’inattendu est possible

Beaucoup de monde. C’est heureux et on est content d’avoir fait l’effort d’être là, nous aussi. Spectateur et acteur d’une expérience où l’inattendu est possible, puisque tout ce qui se passera ici sera diffusé en direct à la radio. Mais que se passera-t-il ? On n’en sait rien encore. Pour l’instant, le public s’installe. Certains visages sont connus, on se salue de loin. La salle est pleine désormais, dos au mur, sur une petite estrade, les écrivains viennent s’asseoir les uns à côté des autres. Certains sont des amis, d’autres, juste des noms déjà entendus, mais dont on ne connaît pas la voix. Ce soir, tout sera curiosité. Les derniers réglages rappellent qu’on est dans les coulisses d’un événement éphémère et définitif puisque les questions, les rires, les hésitations et les silences seront enregistrés et entendus par des milliers d’auditeurs, on l’espère. Sans montage, sans retouche.

Après les infos, dont on n’a rien retenu, on attend encore que passe la pub, puis Myriam Leroy et Pascal Claude, les maîtres de cérémonie, citent le nom de ceux qui feront la traversée avec nous : Laurent Gaudé, le parrain, Abdellah Taïa, Joy Sorman, Geneviève Damas, Antoine Wauters et Caryl Férey. Au top départ, la parole circule très vite, libre. Tous racontent et se racontent : leur rapport aux voyages, au monde, au succès et à la reconnaissance. À tour de rôle, des extraits sont lus. L’écoute, silencieuse, à peine dérangée par les signaux agaçants du téléphone de la librairie. On sourit de ces perturbations (ce n’est plus à nous de s’en excuser) qui ne ralentissent pas les lectures. Si on ferme les yeux, on retrouve les sensations du lecteur et on se laisse emporter. On enrage ou on s’émeut, selon. Surtout, sur le ton de la confidence, se révèlent les nécessités qui créent soudain le besoin d’écriture, premier pas dans la fabrique de la littérature.

On se dirait au cinéma

C’est déjà l’heure pile. Celle du flash d’information et d’une brève interruption. Certains en profitent pour sortir fumer une cigarette, d’autres, peu nombreux, pour s’en aller. Après la pub, les spectateurs retrouvent leur place, les écrivains aussi. Comme si chacun avait pris la mesure de cette nuit si particulière, les conversations donnent vie à tout ce qui fait un livre, tout ce qui le précède. Tout ce qu’on ne sait pas quand on le lit. Les anecdotes sont savoureuses. Avec l’un on s’aventure, tard, sur des chemins ensablés, pour des plaisirs indicibles, sauf par écrit et sauf quand on est très loin de chez soi. Avec l’autre, on côtoie des monstres bretons perdus en Sibérie. On se dirait au cinéma, comédies et drames se succèdent avant un retour obstiné vers ces moments de solitude, indispensables à l’écriture. À ces mots qu’on est heureux de partager ce soir avec ceux qui les ont écrits.

Nouvelle interruption. Plus longue. Cette fois, on se lève, on échange quelques mots, on bavarde, on se faufile dans le couloir, jusqu’à la rue, dehors. Sans en être sûre encore, l’idée est de poursuivre la nuit différemment, à la maison, dans cette autre intimité qu’offre la radio. Isabelle m’annonce qu’elle s’en va aussi. Marcel est parti chercher la voiture, il arrive, si je veux, ils me déposeront. Le temps d’une brève étreinte avec l’ami Caryl, je les suis. À l’arrière de la voiture, on se dit tout le bien qu’on a pensé de qu’on a vu et entendu. Sur mon téléphone, je cherche le numéro d’Adrienne (Nizet, vice-directrice de Passa Porta, NDLR) pour lui envoyer un message. Sans doute juste « bravo », je ne sais plus et je ne sais plus si je l’ai fait. On est déjà devant chez moi. Très vite, je monte à l’étage, là où il y a la meilleure radio. Magique : leurs voix m’ont suivie ici.

Entre amis

Parce que la nuit et parce que les présentations sont faites désormais, le ton est plus léger. Où est le sexe dans la littérature et dans les histoires qu’ils écrivent ? Certains ont l’impression de ne parler que de cela, d’autres jamais ou quasi. Ou seulement quand il faut. Mais quand faut-il parler d’amour et de sexe ? On rit, comme on le ferait entre amis. Cette fois, parce que leur visage est imprimé dans notre mémoire, on a l’impression d’être seul avec eux. On les voit bouger, prendre un verre, se regarder. On entend le public. Sans effort, on revoit aussi les images de films où la radio fut la première ou la dernière fenêtre vers des ailleurs inaccessibles. Souvent des images de résistance, comme l’est aussi la littérature. L’esprit s’échappe pendant qu’ils parlent. Inconsciemment, ce qu’ils disent se mêle à ce qu’on pense.

Avec eux, on s’inquiète, on s’enthousiasme ou on s’impatiente du lent parcours d’un livre avant sa publication. Leurs projets nous intéressent déjà, on aimerait pouvoir en lire le résultat tout de suite. On se demande aussi ce qu’il restera de cette nuit où il ne s’est à la fois rien passé, mais tant de choses pourtant. L’heure tourne, on sait que tout cela aura bientôt une fin, comme un livre qu’on a aimé et dont on ralentit la lecture pour en profiter plus longtemps. Une dernière fois, on les écoute lire. Les yeux fermés, allongé dans l’obscurité, à nouveau presque un enfant à qui on raconte ces histoires qui précèderont les rêves que l’on fera ou pas. Ceux qui lisent et ceux qui écrivent savent en tout cas combien les murs de la réalité peuvent être repoussés ou reconstruits. Ou juste repeints, ce qui change tout, déjà.

Ici ou ailleurs, on se retrouvera sûrement.

Pascale Fonteneau, été 2018.
Pascale Fonteneau
24.09.2018