#PPF2019 : Le parcours idéal de… Anne-Lise Remacle

19.03.2019
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Nous avons demandé à quelques lecteurs d’horizons variés de nous livrer leur programme idéal durant le Passa Porta Festival 2019. Cette semaine, c’est la journaliste Anne-Lise Remacle qui se prête au jeu.

Anne-Lise Remacle est licenciée en lettres et vit à Bruxelles. Jadis libraire jeunesse, elle continue à pétrir tendrement les livres des autres puisqu’elle ne sait pas faire de pain. Aujourd'hui, elle sème des esperluettes, entre autres chez Focus, le Carnet & les Instants et Karoo. Elle s’intéresse aux formes courtes, au hors-format, à la poésie de traverse et au transmédia. Dans sa pratique quotidienne, elle s'efforce autant que possible de privilégier la bibliodiversité tant territoriale qu'éditoriale.

Passa Porta Festival : les glaneurs et la glaneuse

Tous les deux ans, il y a cette excitation particulière qui s’installe dès la réception du programme du Passa Porta Festival. Cette certitude que les vraies surprises ne seront peut-être pas là où on les attend, qu’on s’autorisera des sorties de planning, s’émerveillera de grappiller en zones inconnues, que tous les à-côtés imaginés et animés par toute une équipe viendront faire pétiller ce week-end où les littératures (au pluriel et pas qu’un peu, s’il vous plaît !) seront à la fête. Cette année, me voilà d’autant plus réjouie de découvrir une affiche où le lecteur est au cœur du dispositif, où une vraie réflexion a été menée en amont sur l’inclusivité, où les autrices sont en nombre, où toutes les générations ont de quoi frétiller de curiosité.

Il me semble impensable de rater l’ouverture du jeudi 28 mars à 20h à Passa Porta avec Reni Eddo-Lodge, autrice du puissant et salutaire Why I’m no longer talking to white people about Race. Décloisonner et décoloniser le regard, s’attaquer de front à la problématique du racisme structurel, voilà sans doute ce que fera également l’autrice britannique le dimanche 31 mars à 15h au KVS, en compagnie de la journaliste et podcasteuse Lauren Bastide, de la co-fondatrice du collectif créatif Belgian Renaissance Melat G. Nigussie et de Dorrie A. Wilson, chercheuse, écrivaine et conservatrice culturelle afro-américaine indépendante.

Je serai très heureuse d’écouter ensuite la session trilingue de slam Loose Lips, Quick Wits au Beurschouwburg. Véritable vecteur d’empowerment, le slam part du ventre. Permet aux voix marginalisées d’exister. Brise le quatrième mur. « If you ask me if I’m hungry, I will replay : Always ! » dit l’autrice Samira Saleh, maîtresse de cérémonie, dans son texte Can We Please Stop Telling Girls They Can't Eat?. Nous aussi, nous voilà affamés des flux de mots et du rythme qui sont si singuliers dans cette pratique.

À l’idée de nous séparer, nous Européens, politiquement et symboliquement, du pays qui nous a gratifié du meilleur de la musique (de Robert Wyatt à Pulp en passant par Ian Dury ou The Clash pour ne gratouiller que quelques chouchous des charts) mais aussi de l’humour – sans oublier la délicieuse extravagance assumée – nous voilà circonspects et surtout chagrins. Plutôt que de verser des larmes de thé, je vous conseille de venir dire Goodbye, Hello ! à nos amis d’Outre-Manche à Bozar le vendredi 29 mars à 20h. Vous n’aurez pas deux fois la chance d’entendre les prodigieux et pertinents Ali Smith (‘Autumn’) et Jonathan Coe (‘Middle England’) deviser de Brex-lit avant le glas. Vous n’aurez sans doute d’ailleurs pas deux fois l’opportunité d’entendre les Beatles joués avec la vision du fabuleux compositeur Luciano Berio… attention, ça décolle bien au-delà de Liverpool !

Le samedi 30 mars…

Je passerai à coup sûr dans les rayons de l’Human Library (ouverte de 14h à 18h à Passa Porta)… Vous avez déjà emprunté un livre qui a tout l’air d’un être humain ? Dont les pages sont marquées des discriminations qu’il ou elle subit au quotidien ? Originaire du Danemark, le dispositif a à cœur de lutter contre toutes nos phobies viscéralement ancrées dès qu’il s’agit d’altérité. Difficile de ne pas être ému quand un être en face de vous est à la fois le récit et le conteur d’une histoire dont on espère qu’elle finisse mieux.

À 15h30, place aux mets et aux mots. Avec ‘La Cheffe, roman d’une cuisinière’, la romancière française Marie NDiaye a mis l’écriture au service des gestes précis de quelqu’un qui cuit et coupe. On connaît aussi l’amour débordant de la traductrice et autrice japonaise Ryoko Sekiguchi pour la cuisine, grâce notamment à son livre ‘Le Club des gourmets et autres cuisines japonaises’ mais aussi aux plus méconnus ‘Fade’, ‘L’astringent’ ou ‘Manger fantôme’. On fait entièrement confiance à Ysaline Parisis pour doser avec subtilité les épices de cette rencontre.

À 17h au Beursschouwburg, il est l’heure d’aller voir s’apprivoiser deux voix passionnantes et très différentes : le grinçant Régis Jauffret, observateur impitoyable du quotidien, et Ali Zamir au flux lyrique, auteur comorien qui m’avait éblouie depuis ‘Anguille’, récit sans frein d’une noyade.

Être à l’affût de talents émergents, parfois avant qu’ils ne soient traduits en français, fait partie des côtés palpitants de mon métier. À 18h30, il est donc fort probable qu’on puisse me retrouver du côté du Beursschouwburg, munie d’un verre de vin blanc et curieuse de ce que la piquante Ruth Joos glanera comme confessions de la part de l’intrigante autrice américaine Kristen Roupenian. Avouez que déclencher le flux de la viralité avec une nouvelle (Cat Person’, publiée le 4 décembre 2017 dans The New Yorker) a de quoi interroger, à plus forte raison quand ce buzz conduit Barack Obama à retweeter vos mots. Après la vague #Metoo, questionner la notion de consentement mutuel sous forme de fiction fait clairement partie des missions qu’on peut se donner ou qui vous traversent, en tant qu’autrice. En vraie gourmande de forme courtes, j’ai hâte d’en savoir plus sur les autres directions prises par ‘You Know You Want This’ (titre lui aussi équivoque), premier recueil après ce moment d’éclat.

Le dimanche 31 mars…

À 12h, à la Bellone, foin de brunch quand on a la chance de pouvoir entendre Lola Lafon et Laura Kasichke lors d’une même rencontre. Si je porte depuis longtemps aux nues la reine américaine des atmosphères troubles, me voilà très intriguée de voir comment l’échange va se tisser entre elle et l’autrice de ‘Mercy, Mary, Patty’, récit de la prise de tangente radicale d’une jeune fille « comme il faut », la fameuse Patty Hearst.

À 13h30, au Beurschouwburg je continuerai probablement ma déambulation « au féminin » avec l’autrice et metteuse Jenny Erpenbeck. On ne se donne pas si souvent le temps de découvrir la littérature allemande, souvent délaissée au profit de la française ou de l’américaine. Son dernier roman, ‘Gehen, ging, gegangen’ (non encore traduit en français) s’articule autour de la crise des réfugiés. Il nous semble qu’aujourd’hui, ce sont aussi ces résonances-là que la littérature doit prendre à bras-le-corps.

À 15h, à l’Espace Magh, la Francophonie sera à l’honneur : l’haïtien Lyonel Trouillot (et son récent ‘Ne m’appelle pas Capitaine’), membre du jury du Prix des 5 Continents, aura l’occasion de croiser son regard avec ceux des auteurs belges récipiendaires du prix : Jean Marc Turine (‘La Théo des Fleuves’ – 2018), In Koli Jean Bofane (‘Congo Inc. Le Testament de Bismarck’ – 2014) et Geneviève Damas (‘Si tu passes la rivière’ – 2011). À l’heure où le corpus de textes pour la prochaine édition a commencé à nous arriver, ça sera une belle occasion de se remettre en jambes.

Si l’énergie et l’attention y sont toujours, à 16h30 au Beurschouwburg, je ne manquerai pas d’aller écouter Olga Tokarczuk, écrivaine polonaise que je ne me suis jamais accordé le temps de lire jusque là. Quelle meilleure occasion qu’un entretien pour faire connaissance avec un auteur ? On a souvent tort de croire que seuls les fins connaisseurs d’une œuvre ont les bonnes oreilles pour ces moments précieux.

Restera enfin un final axé sur les réjouissances futures à l’Ancienne Belgique à 18h… Rien de tel que de devenir les Peeping Tom de romans pas encore parus pour se donner envie de lire plus, et mieux !

Je vous souhaite à toutes et tous un Passa Porta Festival dense et drôle, coiffé de la chance des vraies rencontres !

19.03.2019