Prix des 5 Continents de la Francophonie : lire le(s) monde(s)

Anne-Lise Remacle
29.08.2018
Pcf Foto Monde

Les dix finalistes de ce prix au rayonnement international sont connus. Dix occasions de lire en français de Dakar à Montréal, de Bruxelles à Téhéran.

Qu’ont en commun Geneviève Damas, Kamel Daoud et Ananda Devi? Jocelyne Saucier et In Koli Jean Bofane? Par-delà leur vécu singulier et le sol sur lequel leur œuvre a pu germer, chacun(e) d’eux écrit en français, langue plurielle et vivante, la cinquième la plus parlée au monde. Tous ont par ailleurs été distingués par le Prix des 5 Continents.

En 2001, l'Organisation international de la francophonie crée la récompense afin de célébrer la variété et le foisonnement de la production éditoriale en français. Dakar ou Bucarest, Laval ou Neuchâtel, Ho Chi Minh ou Antananarivo ?

Voici autant de territoires où peuvent naître des fictions narratives (romans, nouvelles, récits), nourries d’une identité forte, gorgées d’enjeux historiques, sociétaux ou humains. Outre une attention à la langue, et la date de parution, c’est un critère implicite pour avoir l’espoir d’être remarqué(e).

Cinq comités de présélection

Les cinq comités de lecture (France, Sénégal, Québec, Belgique, Congo-Brazzaville) ont fort à faire en amont. C’est chaque année environ 120 textes qui parviennent dans ces centres où se fera la présélection. Binômes de lecture ou système de rhizome, chaque comité a sa technique pour rédiger des fiches d’analyse circonstanciées et impartiales et sélectionner, in fine, les dix meilleurs textes.

Entre janvier et juin, les méninges bouillonnent à plein régime, emmagasinent des mondes neufs ou à (re)découvrir. L’enthousiasme grimpe ou descend: on se laisse surprendre par un(e) auteur(e) qui nous était jusque là méconnu(e), un(e) autre davantage en lumière paraît peut-être un peu en deçà cette année. Un(e) primo-écrivain(e) a donc au final autant de poids dans la balance que son aîné(e).

Arrive juillet et la réunion inter-comités à l’OIF (Paris). Un membre de chaque organisation vient étayer les choix de son pays, dans une atmosphère d’émulation travailleuse mais amicale. Il s’agit de défendre ses coups de cœur bien sûr, mais également de s’assurer que la voix de chaque comité soit respectée de la façon la plus équitable possible. À l’issue d’un ou plusieurs tours de table où chacun des textes présélectionnés est examiné, les dix finalistes sont enfin en lice, dans l’attente de l’œil attentif des auteurs-juges.

Un jury D'auteurs

Chaque année, il incombe au lauréat de faire partie du jury international qui désignera son successeur. Yamen Manai, vainqueur en 2017 pour L’Amas ardent (Elyzad),

rejoint donc ses pairs : Paula Jacques (présidente), Lise Bissonnette, Ananda Devi, Hubert Haddad, Monique Ilboudo, Vénus Khoury-Ghata, Jean-Marie Gustave Le Clézio, René de Obaldia de l’Académie Française et Lyonel Trouillot. À noter que deux nouveaux membres, Abdourahman Waberi (Djibouti) et Xu Jun (Chine, e.a. traducteur de Proust) font également leur entrée dans ce cercle.

Il faudra patienter jusqu’au 9 octobre et le sommet de la Francophonie à Erevan (Arménie) pour connaître le lauréat qui, outre une dotation de 10.000 euros, recevra un accompagnement promotionnel et un encadrement pour une tournée de rencontres. Il aura aussi la possibilité de participer à des projets spécifiques liés aux missions de l’OIF.

Les dix finalistes en 2018

Après une phase de délibération éclairante sur la façon dont sont perçus les textes reçus dans les autres comités, voici les dix romans qui ont été plébiscités. On notera la présence parmi eux de deux de nos compatriotes, Viktor Lazlo et Jean-Marc Turine.

  • 1994 d’Adlène Meddi (à l’origine éditions Barzakh et désormais Rivages) [Algérie] est une plongée urgente et sans concession dans l’Algérie de la décennie noire. Quatre lycéens appartenant à cette génération « de gâche » décident de lutter, par leurs propres moyens et clandestinement, contre le terrorisme. Mais est-il possible de répondre à la violence autrement que par la violence ?
  • Balkis de Chloé Falcy (Pearlsbook éditions) [Suisse], premier roman, raconte le parcours d’une jeune Irakienne venue étudier l’art en Suisse dans les années 50. Oscillant entre sa culture d’origine et l’attrait de cette société autre – parfois froide mais si libre – qu’elle découvre, la narratrice apprivoise la solitude de l’exil et les affres de l’immigration silencieuse.
  • Bénédict de Cécile Ladjali (Actes Sud) [France / Iran] est un roman biface, tiraillé entre Orient et Occident, Iran et Suisse, ombre et lumière. Bénédict Laudes, professeur de littérature mystérieux, tente d’insuffler à ses étudiant(e)s de Lausanne comme de Téhéran l’ouverture d’esprit et la résistance aux diktats. Autant de messages véhiculés – parfois douloureusement – par son identité plurielle et souple.
  • Il est à toi ce beau pays de Jennifer Richard (Albin Michel) [France /États-Unis] est un texte-fleuve sur les méfaits de la colonisation en Afrique. Autour de la figure-pivot d’Ota Benga, pygmée déraciné de son village congolais, gravitent toutes les figures occidentales, anonymes ou tristement illustres –explorateurs, entrepreneurs, chefs d’état – qui œuvrèrent à cette tragédie à large spectre.
  • Le jeu de la musique de Stéfanie Clermont (Le Quartanier) [Québec] adopte une forme singulière – entre roman en épisodes et nouvelles interconnectées – pour nous donner à lire les désillusions d’une jeunesse québécoise – celle du Printemps érable – éduquée mais perdue, révoltée mais désabusée, entre amours plurielles, manifestations et blues existentiel poisseux.
  • Les passagers du siècle de Viktor Lazlo (Grasset) [Belgique] est une fresque familiale dense sur cinq générations, entre Centrafrique et Europe de l’Est, en passant par la réunion. Entre 1860 et aujourd’hui, balayés par l’Histoire et les retrouvailles au fil des ans, Samuel et Josefa, leurs ancêtres et leur descendance, ont à vivre dans leur chair et leur mémoire les stigmates de la Shoah et de l’esclavage.
  • Le peintre d’aquarelles de Michel Tremblay (Leméac) [Québec] s’attache à Marcel, un homme de 76 ans qui a vécu une grande partie de sa vie dans l’asile de Nominingue. Revenu à une certaine autonomie, il peint inlassablement des aquarelles qui s’éclairent suivant ses humeurs. Débutant un journal, il se saisit enfin de sa propre histoire, celle d’un enfermement abusif.
  • Revenir de Raharimanana (Rivages) [Madagascar] nous conte l’âpre retour au pays d’Hira, né le jour du septième anniversaire de l’Indépendance de Madagascar. Pris dans les rets d’une Histoire personnelle et nationale secouée par les émeutes et les soulèvements, le narrateur, d’abord littéralement perdu, peut se raccrocher à deux certitudes : le pouvoir de la langue et du métissage.

En savoir plus :

Le Prix des 5 Continents sur le site de l’OIF avec des extraits des livres finalistes. Réinventer l’école, projet mené par l’OIF auprès des enfants réfugiés au Liban. Le livre, coédité avec Ici&Là, contient notamment un témoignage de Yamen Manai, envoyé sur place.

Anne-Lise Remacle
29.08.2018