Litanie pour 62 morts de la rue à Bruxelles en 2019

Brussels Poetry Collective
28.10.2020
enregistrement
Litanie2020P1

Chaque année, des dizaines d'hommes et de femmes meurent des conséquences de la vie dans les rues de Bruxelles. Le Collectif Morts de la rue Bruxelles les commémore au cours d'une cérémonie annuelle à l'Hôtel de ville, qui se termine toujours par une "Litanie pour les Morts de la rue" rédigée par le Collectif de poètes bruxellois. Malheureusement, en raison du coronavirus, l'événement de cette année ne peut avoir lieu qu'en ligne. La commémoration a été diffusée le 29 octobre sur Internet et Radio Panik, et la Litanie a été pré-enregistrée à Passa Porta.

Vous pouvez voir ici l'enregistrement de la lecture bilingue de Milady Renoir et Maarten Goethals. Plus bas, nous publions le texte intégral de la nouvelle Litanie, composée cette fois-ci par les poètes Taha Adnan, Frank De Crits, Maarten Goethals, Serge Meurant, Ramón Neto, Anne Penders, Xavier Queipo et Milady Renoir, tous membres du Collectif de poètes bruxellois.

Litanie pour 62 morts de la rue à Bruxelles en 2019

Litanie voor 62 Brusselse straatdoden in 2019



Petrov, 68 ans

Foudroyé par un malaise,

tu mourus à un arrêt de tram

du quartier populaire

où tu vécus.


Radosław, 37 ans

Tu venais de quitter la rue,

de trouver un toit,

nul ne sait ce qui provoqua

la rixe mortelle.


Ashok, 68 jaar

Gij – in het verleden

Van al uw talen.

Gij zult nimmer meer verdwalen

Nu gij (koning en kroon) de stilte hebt betreden.


Wiesław, 56 jaar

En dan, dan in een laatste dans

Viel hij –

Viel hij dagenlang, zonder te dalen.

Hier in Brussel, eeuwig viel hij vlakbij.


Abdelkader, 55 ans

Cinquante-cinq printemps

Cinq vagues d’adieu

Et un cercueil renvoyé

Vers le pays au million de martyrs


Raphaël, 42 ans

Tu n’as pas soufflé tes bougies d’anniversaire

Et as enfoui ton cœur dans un cercueil

Tes larmes ruissellent

En quittant une vie mortelle


Bernard, 58 ans

Je ne vous ai pas connu.

On me dit que vous dessiniez, vous lisiez.

Vous auriez aimé, je crois, que l’on s’assoie ensemble

sur les marches au soleil regarder passer les gens pressés.


Gérard, 55 ans

Parfois les mots sont dépourvus.

Ils arrivent trop tard.

Ils croisent la mort, venue trop tôt.

Reste une pensée, une fleur de printemps, déposée près de vous.


Ahmed, 66 jaar

De dood is weliswaar geen gezelschapsdier

En zeker geen vriend van jan en alleman

Toch komt hij overal ongevraagd op bezoek

Het fatale gebeuren is één triestigheid


Michel, 48 jaar

Groot en sterk en vast in zijn schoenen

Zijn schuilhut was helemaal niet ruim

Hij stierf in een groot ziekenhuisbed

De dood schepte hem op van de straat


Renaud, 39 ans

Comment fut cette nuit-là ?

Comment osa-t-elle priver le lendemain

de ton sourire rayonnant, de ton humour ?

Toi, ce grand blagueur dans l'âme.


Louis, 54 ans

Passionné du septième art,

ton parcours de rue fut tout sauf du cinéma.

Amateur aussi de chanson française,

tu pousses toujours la chansonnette avec nous.


Patrick, 51 ans

Tes rêves n’ont pas vraiment pris fin,

Ils se dispersent entre des lits et des rives.

Passeur du trop, Tisserand d’un sourire si rapide à la faux,

Cent et un de tes rires vagabondent de pieux en autres lieux.


Mariusz, 42 ans

Dobranoc et dobrej podróży vers ta Terre, la tourbe, ta lumière,

Dobranoc et dobrej podróży à l’ombre des miroirs et des alouettes,

Que les chênes, les ormes fiers sur les bords du marais de Biebrza

laissent le pivert creuser en leur tronc un trou nid pour ta mémoire.


Pierre, 78 jaar

Niet namens de geëerde spreek ik, dit kwatrijn over

een onbekende die ooit in bloei stond schrijf ik voor de maan.

Nu de wereld zo bijzonder vreemd is geworden

heeft u ons op tijd verlaten, meneer.


Jacques, 55 jaar

Voor ons allen is de toekomst een zee van melodieën.

Deze woorden zijn vloedgolven van zand,

ze wachten tot je muziek toevallig gaat stromen,

ze duiken op in de onzekere nachten vol dromen.


Jarosłav, 32 ans

Le cancer a coupé

bien trop tôt

le fil de ta vie.

Tu laisses trois orphelins.


Antonas, 58 ans

Tu es mort paisiblement

dans ton sommeil,

à l’abri de la rue.

Tu laisses quatre orphelins.

Personne ne fut averti de ton enterrement.


Thierry, 62 jaar

Uit steen kapte gij de voering van uw kleren.

Uit de lucht de lach in uw longen.

Maar tegen het likkend lood van de dood

Kan niemand – ook gij niet – zich staand verweren.


Amanuel (alias Solomon alias Ibrahim), 33 jaar

Langs de gestrekte lijnen van uw leven

(Tussen land en balans);

Langs het ijzer van uw smetteloos lijden;

Langs uw neus raast de dood opeens als een trein voorbij.


Pascal, 62 ans

Qui, après toi,

Parlera livres et films

Qui, avec les copains d’infortune

Recollera des bouts de rêves ?


Mohamed, 64 ans

Au terme d’une vie invisible

Toute faite d’attente

Tu prends le pas du premier cri

Et rejoins une patrie de poussière


Thierry, 50 ans

Une fille, une famille.

Laissées derrière, de côté.

Et la rue, au quotidien. On sait si peu de ceux qu’on croise …

Il arrive parfois qu’ils soient soulagés de quitter ce monde à l’envers.


Mohamed, 36 ans

On n’en sait pas plus. Ce qu’on me dit. C’est trop peu.

Vous portez le prénom de trois de mes voisins.

Un prénom de prophète. Venu de loin.

C’est tout ce qu’on sait. Et votre âge. Si jeune encore. C’est trop peu.


Mohamed, 49 jaar

Hij beoefende wonderwel de kalligrafie

Zijn kennis van de koranverzen was zijn heil

Lachend liep hij in het leven van de straten

tot de dood hem ongewenst inhaalde


Frédéric, 48 jaar

Hij hield van goed leven, zag niet op een feestje meer

Of minder uitbundig aangenaam, was helemaal weg

Van heftige rock: AC/DC The Cure Sisters of Mercy

De dood heeft zijn levenslust kapotgemaakt


Vanessa, 44 ans

Tes longs cheveux bruns et tes petits yeux rieurs.

Ton sens de l'humour et ton cœur fidèle et câlin.

Tes mandalas aux mille couleurs et tes t-shirts illustrés d'animaux.

Tellement de vie qui pétille encore dans le souvenir.


Geoffray, 26 ans

Gentil et attentif,

on nous parle de ton long parcours à la recherche de ta voie.

Long ?

Et tu n’avais que 26 ans quand tu es parti ?


Valérie, 43 ans

Un sourire de toi gravé dans les pavés de de Brouckère

ouvre un champ de fleurs dites de « bonne humeur »

Tes mains tendues s’ouvrent en forme de Cœur

Née Poissons, tu nageras couramment dans les proches rivières.


Michel, 60 ans

Au milieu des mots et des gens,

avais-tu appris à retomber sur tes pieds ?

Géant souriant à barbe souple, le centre ville était ton coquillage.

Géant d’60 ans à vie trouble, la gentillesse restera ton village.


Abdelkrim, 35 ans

De tirannieke werkelijkheid heeft hem verwoest.

Hij wilde zijn wereld kennen opstandig in een snijdende kreet

midden in de nacht, midden in een greppel.

Wat bedoel je met hij was pas vijfendertig toen hij stierf?


Alexandru, 48 ans

Discreet als de omhelzing van een klimop,

geduldig luisterend, vriendelijk antwoordend,

verstikt in aanhoudend verdriet, werd hij plots trager

als treinen die bij valavond het station verlaten.


José Luis, 54 ans

Peut-être, passant près de la Bourse,

me suis-je arrêté pour t’écouter

jouer de la guitare, entouré d’amis.

C’était une fête !

La mort t’a ramené au pays.


Unayan (alias Bobo), 70 ans

Tu avais, malgré ton âge,

l’allure d’un jeune homme.

Tu étais libre comme l’air.

Aux questions, tu répondais « bobo ».


Sonia, 49 jaar

Een huis: úw huis. Klein, en vol klaarte en kennis.

En in elke kamer een ander klimaat.

De dood? Een storm die het dak licht

(De hemel: donker en drachtig;

Een week en paars aangezicht.)


Albert, 48 jaar

Jij, die languit onder het lachen

Als onder een laken kruipt. Jij, die slaapt

Onder het gewicht van vele gevelde levens.

De dood is een wees; is winter, is warmte.


Illia, 58 ans

Une décennie d’errance

Toi, le Bulgare au grand cœur

Mère doublement éprouvée

Ignorant la photo d’un fils étranger


David, 35 ans

Vas-y doucement, toi qui passes, souffrant

La route guette les rêves et les vies

Et cette patrie plus étroite qu’une tente

N’est pas tendre avec ses enfants brisés


Mohamed, 44 ans

Je me souviens de l’air vif dans la lumière de février.

Et des oranges, sur le marché. Les enfants qui tiraient mes manches.

Est-ce pour protéger les vôtres que vous les avez quittés ?

Est-ce l’avenir d’ici qui vous a trahi ?


Jarosłav, 55 ans

C’est un air de guitare

Un chant de l’Est

Un sourire dans votre langue

Qui toujours vous accompagne


Mirosłav, 61 jaar

Ver van huis, naar hier heengegaan

Leefde hij op straat en stoep tussen

Zijn lotgenoten in ongeluk en heimwee

De dood had haast en sleurde hem mee


Ionut, 35 jaar

Hij had na lang zoeken zijn squat gevonden

In de warmte van de zomer stookte hij vuur

De brand heeft hem hardhandig weggerukt

Mensen keken naar de vlammen naar de onbekende


Aziz, 55 ans

Retourner à la terre à laquelle on appartient ;

à celle dont on voudrait que nos cendres s’imprègnent.

Mais, au bout du compte, toute terre et toute cendre

ne devient-elle pas une même poussière d’étoiles ?


Thierry, 50 ans

Avec ton chat Poupousse

et ta coiffure rockabilly retrouvée ;

où que tu te trouves, on t’imagine bien,

toi, grand fan d’Elvis, nous chantonnant Always on my mind.

André, 47 ans

Chevalier blanc, dernière halte à l’auberge,

tes services sont rendus, tes savoirs entendus,

ton silence n’est pas nouveau,

chaque ami.e te vivra sans repos.


Victor, 73 ans

Rien qu’un voyage de plus, finalement,

Des transports, de l’amour ou du corps,

Tu fus cet homme hors des communs,

Bon vivant, bon croyant, un homme important.


Luc, 66 jaar

Groot en slank als een lange dag van vasten,

gedreven als een eenzame goudvis,

heeft hij onophoudelijk zijn weg gebaand

en gezwommen in de kring van een vijver.


Przemisłav (alias Przemek), 37 jaar

Een dag brak aan, klein maar hard als steen,

baggeren was het, in de dieperik van toeval en as,

vervuld van dromen en alleen met zijn geloof

om zichzelf te verliezen in de stad van kristal.


Aneta (alias Caroline), 36 ans

La douleur de te savoir seule

au moment de mourir,

jeune morte,

mère d’un jeune orphelin.


Constantin (alias Bilâ ou Bielen), 60 ans

Handicapé, tu faisais la manche.

Les habitants du quartier admiraient

ton courage. Leur générosité t’avait permis

d’acheter une chaise roulante électrique.

Cependant, tu vivais dans une tente.

Tu disparus un jour.

Sommes-nous coupables ?


David, 42 jaar

Van zaterdag op zondag: een zalving –

Nat en glad. Een witte glans

Waarin het leven glijdt. De dood is een zege

Zonder overwinning.


Jean-Luc, 60 jaar

Jij, in je habijt, kent spijt, nijd

Wrok noch amok. Jij ging op en neer –

Dagenlang aan het Justitiepaleis.

De laatste heenreis is een lift naar boven.


Sabine, 62 jaar

In ’58. Toen Brussel blonk: glimmend

Van voortgang en vrede. In ’58.

Toen de wereld als een plant aardde in ijzer

En almacht, was zacht jouw eerste glimlach.

In één, negen, vijf, acht.


Dimitri, 52 ans

Adieu, sage hellénique

Il n’est plus de place sur terre pour tes rêves

Qu’éclate ta musique en ton repos éternel

Et envole-toi vers l’Équateur.


Alain, 49 ans

Vous êtes parti comme vous étiez :

Calme et discret.

On aimerait croire parfois

Qu’ailleurs on vous prendra la main, avec votre gentillesse …


Marcelle, 74 ans

Elle. Le féminin dans son prénom.

Conçue pendant la guerre, en a connu d’autres.

Forte, solitaire. Elle. A tenu tant qu’elle pouvait.

En parlant aux animaux.


Michael (alias Mike), 64 jaar

Als globetrotter verzeilde hij uiteindelijk hier

Als echte Brit dronk hij zijn thee met melk

Hij was een zware supporter van Leeds

De stad zijn doolhof werd zijn graf


Yves, 34 jaar

Een grote dromer een grote grappenmaker

Hij zat altijd met zijn neus in filosofie

Zijn leven was een gevecht tegen het ongeluk

De dood zag hem lopen en nam hem mee


Laurent (alias Tatou), 45 ans

Maelbeek, Arts-Loi, Parc, Gare Centrale,

La Fontaine, Diogenes, la MédiHalte ...

tant de lieux imprégnés de ta présence

— toujours souriant, gentil, doux.


Leszek, 45 ans

Retourner au pays? Qui ou quoi t’attendrait là?

Et ici, que reste-t-il encore de toi ?

Ta présence calme et aimable – émanant

de ces petits parfums que tu offrais comme cadeau.


Gherasim (alias Sorin), 45 ans

Né au printemps, au creux des courbures des Carpates,

Roi d’une ville de couronnes, Roi d’une vie de mille pas.

Sorin, ton surnom signifie l’arbre dessiné en haut d’une pagode.

Qu’au lieu où tu dors, tu sois protégé comme montagne sous ciel.


Pascal, 53 ans

Ta douceur reste entre les lignes de nos mains ;

Comme tes secrets : recette d’chicons au gratin

ou jeu vidéo jusqu’au p’tit matin. Ta vie ?

Une chanson qui fera boucle sur notre Radio Nostalgie.



*


Lu par Maarten Goethals (néerlandais) et Milady Renoir (français) et enregistré à Passa Porta le 21 octobre 2020.

Merci à Bart Vonck pour sa traduction des vers du poète galicien-bruxellois Xavier Queipo.

Coordination : Piet Joostens

Brussels Poetry Collective
28.10.2020