Litanie pour 62 morts de la rue à Bruxelles en 2019
Chaque année, des dizaines d'hommes et de femmes meurent des conséquences de la vie dans les rues de Bruxelles. Le Collectif Morts de la rue Bruxelles les commémore au cours d'une cérémonie annuelle à l'Hôtel de ville, qui se termine toujours par une "Litanie pour les Morts de la rue" rédigée par le Collectif de poètes bruxellois. Malheureusement, en raison du coronavirus, l'événement de cette année ne peut avoir lieu qu'en ligne. La commémoration a été diffusée le 29 octobre sur Internet et Radio Panik, et la Litanie a été pré-enregistrée à Passa Porta.
Vous pouvez voir ici l'enregistrement de la lecture bilingue de Milady Renoir et Maarten Goethals. Plus bas, nous publions le texte intégral de la nouvelle Litanie, composée cette fois-ci par les poètes Taha Adnan, Frank De Crits, Maarten Goethals, Serge Meurant, Ramón Neto, Anne Penders, Xavier Queipo et Milady Renoir, tous membres du Collectif de poètes bruxellois.
Litanie pour 62 morts de la rue à Bruxelles en 2019
Litanie voor 62 Brusselse straatdoden in 2019
Petrov, 68 ans
Foudroyé par un malaise,
tu mourus à un arrêt de tram
du quartier populaire
où tu vécus.
Radosław, 37 ans
Tu venais de quitter la rue,
de trouver un toit,
nul ne sait ce qui provoqua
la rixe mortelle.
Ashok, 68 jaar
Gij – in het verleden
Van al uw talen.
Gij zult nimmer meer verdwalen
Nu gij (koning en kroon) de stilte hebt betreden.
Wiesław, 56 jaar
En dan, dan in een laatste dans
Viel hij –
Viel hij dagenlang, zonder te dalen.
Hier in Brussel, eeuwig viel hij vlakbij.
Abdelkader, 55 ans
Cinquante-cinq printemps
Cinq vagues d’adieu
Et un cercueil renvoyé
Vers le pays au million de martyrs
Raphaël, 42 ans
Tu n’as pas soufflé tes bougies d’anniversaire
Et as enfoui ton cœur dans un cercueil
Tes larmes ruissellent
En quittant une vie mortelle
Bernard, 58 ans
Je ne vous ai pas connu.
On me dit que vous dessiniez, vous lisiez.
Vous auriez aimé, je crois, que l’on s’assoie ensemble
sur les marches au soleil regarder passer les gens pressés.
Gérard, 55 ans
Parfois les mots sont dépourvus.
Ils arrivent trop tard.
Ils croisent la mort, venue trop tôt.
Reste une pensée, une fleur de printemps, déposée près de vous.
Ahmed, 66 jaar
De dood is weliswaar geen gezelschapsdier
En zeker geen vriend van jan en alleman
Toch komt hij overal ongevraagd op bezoek
Het fatale gebeuren is één triestigheid
Michel, 48 jaar
Groot en sterk en vast in zijn schoenen
Zijn schuilhut was helemaal niet ruim
Hij stierf in een groot ziekenhuisbed
De dood schepte hem op van de straat
Renaud, 39 ans
Comment fut cette nuit-là ?
Comment osa-t-elle priver le lendemain
de ton sourire rayonnant, de ton humour ?
Toi, ce grand blagueur dans l'âme.
Louis, 54 ans
Passionné du septième art,
ton parcours de rue fut tout sauf du cinéma.
Amateur aussi de chanson française,
tu pousses toujours la chansonnette avec nous.
Patrick, 51 ans
Tes rêves n’ont pas vraiment pris fin,
Ils se dispersent entre des lits et des rives.
Passeur du trop, Tisserand d’un sourire si rapide à la faux,
Cent et un de tes rires vagabondent de pieux en autres lieux.
Mariusz, 42 ans
Dobranoc et dobrej podróży vers ta Terre, la tourbe, ta lumière,
Dobranoc et dobrej podróży à l’ombre des miroirs et des alouettes,
Que les chênes, les ormes fiers sur les bords du marais de Biebrza
laissent le pivert creuser en leur tronc un trou nid pour ta mémoire.
Pierre, 78 jaar
Niet namens de geëerde spreek ik, dit kwatrijn over
een onbekende die ooit in bloei stond schrijf ik voor de maan.
Nu de wereld zo bijzonder vreemd is geworden
heeft u ons op tijd verlaten, meneer.
Jacques, 55 jaar
Voor ons allen is de toekomst een zee van melodieën.
Deze woorden zijn vloedgolven van zand,
ze wachten tot je muziek toevallig gaat stromen,
ze duiken op in de onzekere nachten vol dromen.
Jarosłav, 32 ans
Le cancer a coupé
bien trop tôt
le fil de ta vie.
Tu laisses trois orphelins.
Antonas, 58 ans
Tu es mort paisiblement
dans ton sommeil,
à l’abri de la rue.
Tu laisses quatre orphelins.
Personne ne fut averti de ton enterrement.
Thierry, 62 jaar
Uit steen kapte gij de voering van uw kleren.
Uit de lucht de lach in uw longen.
Maar tegen het likkend lood van de dood
Kan niemand – ook gij niet – zich staand verweren.
Amanuel (alias Solomon alias Ibrahim), 33 jaar
Langs de gestrekte lijnen van uw leven
(Tussen land en balans);
Langs het ijzer van uw smetteloos lijden;
Langs uw neus raast de dood opeens als een trein voorbij.
Pascal, 62 ans
Qui, après toi,
Parlera livres et films
Qui, avec les copains d’infortune
Recollera des bouts de rêves ?
Mohamed, 64 ans
Au terme d’une vie invisible
Toute faite d’attente
Tu prends le pas du premier cri
Et rejoins une patrie de poussière
Thierry, 50 ans
Une fille, une famille.
Laissées derrière, de côté.
Et la rue, au quotidien. On sait si peu de ceux qu’on croise …
Il arrive parfois qu’ils soient soulagés de quitter ce monde à l’envers.
Mohamed, 36 ans
On n’en sait pas plus. Ce qu’on me dit. C’est trop peu.
Vous portez le prénom de trois de mes voisins.
Un prénom de prophète. Venu de loin.
C’est tout ce qu’on sait. Et votre âge. Si jeune encore. C’est trop peu.
Mohamed, 49 jaar
Hij beoefende wonderwel de kalligrafie
Zijn kennis van de koranverzen was zijn heil
Lachend liep hij in het leven van de straten
tot de dood hem ongewenst inhaalde
Frédéric, 48 jaar
Hij hield van goed leven, zag niet op een feestje meer
Of minder uitbundig aangenaam, was helemaal weg
Van heftige rock: AC/DC The Cure Sisters of Mercy
De dood heeft zijn levenslust kapotgemaakt
Vanessa, 44 ans
Tes longs cheveux bruns et tes petits yeux rieurs.
Ton sens de l'humour et ton cœur fidèle et câlin.
Tes mandalas aux mille couleurs et tes t-shirts illustrés d'animaux.
Tellement de vie qui pétille encore dans le souvenir.
Geoffray, 26 ans
Gentil et attentif,
on nous parle de ton long parcours à la recherche de ta voie.
Long ?
Et tu n’avais que 26 ans quand tu es parti ?
Valérie, 43 ans
Un sourire de toi gravé dans les pavés de de Brouckère
ouvre un champ de fleurs dites de « bonne humeur »
Tes mains tendues s’ouvrent en forme de Cœur
Née Poissons, tu nageras couramment dans les proches rivières.
Michel, 60 ans
Au milieu des mots et des gens,
avais-tu appris à retomber sur tes pieds ?
Géant souriant à barbe souple, le centre ville était ton coquillage.
Géant d’60 ans à vie trouble, la gentillesse restera ton village.
Abdelkrim, 35 ans
De tirannieke werkelijkheid heeft hem verwoest.
Hij wilde zijn wereld kennen opstandig in een snijdende kreet
midden in de nacht, midden in een greppel.
Wat bedoel je met hij was pas vijfendertig toen hij stierf?
Alexandru, 48 ans
Discreet als de omhelzing van een klimop,
geduldig luisterend, vriendelijk antwoordend,
verstikt in aanhoudend verdriet, werd hij plots trager
als treinen die bij valavond het station verlaten.
José Luis, 54 ans
Peut-être, passant près de la Bourse,
me suis-je arrêté pour t’écouter
jouer de la guitare, entouré d’amis.
C’était une fête !
La mort t’a ramené au pays.
Unayan (alias Bobo), 70 ans
Tu avais, malgré ton âge,
l’allure d’un jeune homme.
Tu étais libre comme l’air.
Aux questions, tu répondais « bobo ».
Sonia, 49 jaar
Een huis: úw huis. Klein, en vol klaarte en kennis.
En in elke kamer een ander klimaat.
De dood? Een storm die het dak licht
(De hemel: donker en drachtig;
Een week en paars aangezicht.)
Albert, 48 jaar
Jij, die languit onder het lachen
Als onder een laken kruipt. Jij, die slaapt
Onder het gewicht van vele gevelde levens.
De dood is een wees; is winter, is warmte.
Illia, 58 ans
Une décennie d’errance
Toi, le Bulgare au grand cœur
Mère doublement éprouvée
Ignorant la photo d’un fils étranger
David, 35 ans
Vas-y doucement, toi qui passes, souffrant
La route guette les rêves et les vies
Et cette patrie plus étroite qu’une tente
N’est pas tendre avec ses enfants brisés
Mohamed, 44 ans
Je me souviens de l’air vif dans la lumière de février.
Et des oranges, sur le marché. Les enfants qui tiraient mes manches.
Est-ce pour protéger les vôtres que vous les avez quittés ?
Est-ce l’avenir d’ici qui vous a trahi ?
Jarosłav, 55 ans
C’est un air de guitare
Un chant de l’Est
Un sourire dans votre langue
Qui toujours vous accompagne
Mirosłav, 61 jaar
Ver van huis, naar hier heengegaan
Leefde hij op straat en stoep tussen
Zijn lotgenoten in ongeluk en heimwee
De dood had haast en sleurde hem mee
Ionut, 35 jaar
Hij had na lang zoeken zijn squat gevonden
In de warmte van de zomer stookte hij vuur
De brand heeft hem hardhandig weggerukt
Mensen keken naar de vlammen naar de onbekende
Aziz, 55 ans
Retourner à la terre à laquelle on appartient ;
à celle dont on voudrait que nos cendres s’imprègnent.
Mais, au bout du compte, toute terre et toute cendre
ne devient-elle pas une même poussière d’étoiles ?
Thierry, 50 ans
Avec ton chat Poupousse
et ta coiffure rockabilly retrouvée ;
où que tu te trouves, on t’imagine bien,
toi, grand fan d’Elvis, nous chantonnant Always on my mind.
André, 47 ans
Chevalier blanc, dernière halte à l’auberge,
tes services sont rendus, tes savoirs entendus,
ton silence n’est pas nouveau,
chaque ami.e te vivra sans repos.
Victor, 73 ans
Rien qu’un voyage de plus, finalement,
Des transports, de l’amour ou du corps,
Tu fus cet homme hors des communs,
Bon vivant, bon croyant, un homme important.
Luc, 66 jaar
Groot en slank als een lange dag van vasten,
gedreven als een eenzame goudvis,
heeft hij onophoudelijk zijn weg gebaand
en gezwommen in de kring van een vijver.
Przemisłav (alias Przemek), 37 jaar
Een dag brak aan, klein maar hard als steen,
baggeren was het, in de dieperik van toeval en as,
vervuld van dromen en alleen met zijn geloof
om zichzelf te verliezen in de stad van kristal.
Aneta (alias Caroline), 36 ans
La douleur de te savoir seule
au moment de mourir,
jeune morte,
mère d’un jeune orphelin.
Constantin (alias Bilâ ou Bielen), 60 ans
Handicapé, tu faisais la manche.
Les habitants du quartier admiraient
ton courage. Leur générosité t’avait permis
d’acheter une chaise roulante électrique.
Cependant, tu vivais dans une tente.
Tu disparus un jour.
Sommes-nous coupables ?
David, 42 jaar
Van zaterdag op zondag: een zalving –
Nat en glad. Een witte glans
Waarin het leven glijdt. De dood is een zege
Zonder overwinning.
Jean-Luc, 60 jaar
Jij, in je habijt, kent spijt, nijd
Wrok noch amok. Jij ging op en neer –
Dagenlang aan het Justitiepaleis.
De laatste heenreis is een lift naar boven.
Sabine, 62 jaar
In ’58. Toen Brussel blonk: glimmend
Van voortgang en vrede. In ’58.
Toen de wereld als een plant aardde in ijzer
En almacht, was zacht jouw eerste glimlach.
In één, negen, vijf, acht.
Dimitri, 52 ans
Adieu, sage hellénique
Il n’est plus de place sur terre pour tes rêves
Qu’éclate ta musique en ton repos éternel
Et envole-toi vers l’Équateur.
Alain, 49 ans
Vous êtes parti comme vous étiez :
Calme et discret.
On aimerait croire parfois
Qu’ailleurs on vous prendra la main, avec votre gentillesse …
Marcelle, 74 ans
Elle. Le féminin dans son prénom.
Conçue pendant la guerre, en a connu d’autres.
Forte, solitaire. Elle. A tenu tant qu’elle pouvait.
En parlant aux animaux.
Michael (alias Mike), 64 jaar
Als globetrotter verzeilde hij uiteindelijk hier
Als echte Brit dronk hij zijn thee met melk
Hij was een zware supporter van Leeds
De stad zijn doolhof werd zijn graf
Yves, 34 jaar
Een grote dromer een grote grappenmaker
Hij zat altijd met zijn neus in filosofie
Zijn leven was een gevecht tegen het ongeluk
De dood zag hem lopen en nam hem mee
Laurent (alias Tatou), 45 ans
Maelbeek, Arts-Loi, Parc, Gare Centrale,
La Fontaine, Diogenes, la MédiHalte ...
tant de lieux imprégnés de ta présence
— toujours souriant, gentil, doux.
Leszek, 45 ans
Retourner au pays? Qui ou quoi t’attendrait là?
Et ici, que reste-t-il encore de toi ?
Ta présence calme et aimable – émanant
de ces petits parfums que tu offrais comme cadeau.
Gherasim (alias Sorin), 45 ans
Né au printemps, au creux des courbures des Carpates,
Roi d’une ville de couronnes, Roi d’une vie de mille pas.
Sorin, ton surnom signifie l’arbre dessiné en haut d’une pagode.
Qu’au lieu où tu dors, tu sois protégé comme montagne sous ciel.
Pascal, 53 ans
Ta douceur reste entre les lignes de nos mains ;
Comme tes secrets : recette d’chicons au gratin
ou jeu vidéo jusqu’au p’tit matin. Ta vie ?
Une chanson qui fera boucle sur notre Radio Nostalgie.
*
Lu par Maarten Goethals (néerlandais) et Milady Renoir (français) et enregistré à Passa Porta le 21 octobre 2020.
Merci à Bart Vonck pour sa traduction des vers du poète galicien-bruxellois Xavier Queipo.
Coordination : Piet Joostens