courage (4) geert van istendael

01.12.2020
Texte d’auteur
Geert van Istendael

En ces temps troubles, nous avons demandé à des autrices et auteurs que nous admirons ce que la notion de courage leur inspirait. Souvenir, micro-histoire, anecdote ou réflexion plus métaphysique : ils sont nombreux à nous avoir répondu. Un feuilleton à suivre dans les prochaines semaines.


KORROZJE


Le 11 novembre 1917, le soldat Egide Noppen, ancien magasinier à la raffinerie Graeffe, rue de Manchester à Molenbeek-Saint-Jean, gisait, tremblant, quelque part dans une plaine marécageuse de Flandre occidentale, à moitié enterré sous six autres soldats. Morts, eux, contrairement à lui.

Le tonnerre des tirs allemands faillit lui déchirer les tympans. S’il rampait vers l’avant, les Prussiens le descendraient aussi sec. S’il rampait vers l’arrière, il ne ferait pas dix mètres. Une balle dans le dos. Ou un obus. Aussi le soldat Noppen songea-t-il : je m’enfonce le canon de mon fusil dans la bouche et j’appuie. Adieu misère.

À ce moment-là, il entendit une voix, lointaine, mais couvrant tous les canons. Cette voix lui cria haut et clair : Korrozje, kammeroet, korrozje !

Molenbeek, dit le soldat Noppen, non, Meulebèèèèk, cria-t-il, et il se releva tant bien que mal, trébucha et courut le dos courbé, rampa, trébucha encore et se laissa tomber dans une tranchée belge.

Le soldat Egide Noppen est arrivé indemne au jour du 11 novembre 1918. Mais jamais il n’est parvenu à savoir qui lui avait crié courage. Dans sa langue à lui.


Traduit du néerlandais par Françoise Antoine

Le Bruxellois Geert van Istendael (1947) est poète, écrivain, traducteur littéraire et essayiste. Auteur notamment de Arm Brussel (Pauvre Bruxelles), Taalmachine (Machine à langage), Mijn Duitsland (Mon Allemagne) et des récents romans policiers bruxellois Het lijk in de boomgaard (Le cadavre dans le verger) et De danseres en het mes (La danseuse et le couteau).

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01.12.2020