poetik bazar: deux poèmes de kirill medvedev

Le poète, musicien et militant dissident russe Kirill Medvedev vit en exil depuis l'agression de la Russie contre l'Ukraine. Durant le mois de septembre, il a trouvé refuge dans l'appartement de Passa Porta. Voici deux poèmes amers qu'il a lus le 23.9 lors de la soirée d'ouverture de Poetik Bazar à la Maison Poème.
Seulement sur Facebook
C’est seulement sur Facebook que je m’en sors pas mal,
belles photos de beaux endroits,
idées à volonté, citytrips, likes et amis
prête à intégrer n’importe laquelle des plus grosses universités,
dans la vraie vie par contre :
un flou informe
toujours les même bars
papa et maman qui n’arrêtent pas
le loyer toute seule c’était vraiment trop
le travail intellectuel ça compte pas
la propriété intellectuelle ça vaut rien
des hommes infantiles et insipides mais pleins de culot
il y en a qui sont pas mal, mais cette frustration sexuelle qui est toujours là,
dont je me sens coupable sans savoir pourquoi,
et je pourrais m’en ficher, mais c’est dans tout qu’il faut surmonter cette merde sans fin, la merde infinie.
Ça c’est dans la vraie vie. On dirait pas, sur mon Facebook, hein ?
Je me suis jamais cachée, je peux parler de tout,
mais bon toujours râler ça ne se fait pas non plus.
La Russie, ma patrie, est en fin de vie.
Je veux rejoindre la milice céleste.
*
Rien que la révolution
Non,
Là,
Là c’est la révolution ou rien.
Il n’y a que la révolution qui nous permettra après ça
de rester tranquilles chez nous.
Il n’y a que la révolution qui nous donnera l’occasion
de pleurnicher sur les réseaux que tout ça
n’a aucun sens
Il n’y a qu’elle qui nous aidera à débattre encore,
à traiter l’autre de pourri défaitiste.
Il n’y a qu’elle pour enfin poser
la question clairement : on se barre ? ou demain ?
Rien que la révolution.
Il n’y a que la révolution pour nous permettre aujourd’hui
de nous recroqueviller dans les livres.
Il n’y a qu’elle pour nous donner une chance
de nous sentir des extrémistes intransigeants,
ou des sages pondérés,
ou même de nous échapper de toute cette frénésie.
Mais là, on n’y est pas,
manifestons, camarade,
dépêche-toi,
lève ton derrière opportuniste et bavard.
Traduit du russe par Nastasia Dahuron et Daria Balandina, pour Passa Porta, 2022.
Photo: Jess De Gruyter