Rencontre avec Margo Jefferson

Fille d'un pédiatre et d'une mère fashionista, Margo Jefferson a grandi au sein de l'élite noire éduquée et fortunée du Chicago des années 50 - ce qu'elle nommait « Negroland » dans son premier livre. En français, on peut en ce moment lire la préface qu’elle offre à la traduction du livre Maud Martha de Gwendolyn Brooks (éds. Globe). La vie de Jefferson s'est déroulée sur fond de mouvement pour les droits civiques et de montée du féminisme, tout en étant marquée par les contradictions d'une classe moyenne noire apparemment privilégiée. Dans Negroland, elle faisait la part des choses entre ce qui l'a « faite » et ce qui l'a « mutilée ». Pour ce faire, Jefferson a trouvé sa propre forme, zigzaguant entre les perspectives, empruntant joyeusement des phrases à des textes de chansons ou à des livres d'autres écrivains.

Aujourd'hui, Jefferson ouvre complètement le genre des mémoires. Dans Building a Nervous System, elle se brise puis se reconstruit en entremêlant critique et mots de membres de sa famille décédés, moments clés de sa vie, poésie et sons de jazz. On y trouve des lettres, des paroles de chansons et des extraits de journaux intimes. Elle y fait notamment des chanteurs Bing Crosby et Ike Turner des alter ego. Histoire de se réécrire dans une nouvelle forme musicale imprégnée de vie…

Il fallait une grande sensibilité pour faire de ce découpage et de cette dissection quasi anatomique un ensemble cohérent. Jefferson possède cette sensibilité, ce talent, ainsi que celui de se dévoiler complètement. A la lecture de son livre, nous connectons délicieusement avec des artistes comme Powell, Josephine Baker et Harriet Beecher Stowe, mais nous nous morfondons également avec elle au moment de s’écrier : "STOP ! Reprenez-vous, Professeur Jefferson". Tout cela fait partie de son système nerveux, et de son intimité, qui atteignent ainsi une densité prodigieuse et hypnotique.

Org. Passa Porta

photo © claire holt