Nuit des Écrivains - poème de Maud Joiret : "Je ne sais pas quels diables courent après mon père"
![Maud Joiret](/imager/files/Magazine-beelden/250788/MaudJoiret_5f9e2552d322fc0dc165896dfcb17b78.jpeg)
Comme chaque année au mois de novembre, Passa Porta rejoint "La Nuit des écrivains", un rendez-vous médiatique pour noctambules épris de littérature. Une discussion avec six autrices et auteurs en public sur la scène de la Cité Miroir à Liège, retransmise en direct sur les ondes de La Première. A cette occasion, nous avons demandé à la poétesse et performeuse Maud Joiret (Jerk, Marées vaches) un texte inédit, à lire et relire ici.
l ne rôde pas sur des applis
Il flotte dans son corps
Dans un costume de géant
En briques et se fait quand il progresse
Dans la veille des bleus
Plus profonds
Qu'on penserait
Sous ses paupières le cœur batyscaphe signale
Sa position
Lointaine
Lointaine
Comme le matin
Mon père prend son quart
De nuit ou de silence
Seul à deux heures du matin, il a dix ans. Il a les joues brûlées par un cancer qui ne le tue pas, il a huit fois dix ans, il est inconsolé, la distance entre inconsolé et inconsolable est celle qu'il creuse depuis des dizaines de milliers de nuits, de jour surtout depuis la retraite il montre de préférence la face lumineuse de lui-même – selon une trajectoire terrienne, solaire - héliotropique. Oui, comme la fleur.
Il est trois heures. Avant d'atteindre le canapé mon père aura cinq ans.
Je ne sais pas quels diables courent après mon père dans l'appartement au milieu de la nuit, je ne sais pas à quel moment il convient de la fin du raid, avant l'aube, il pratique l'insomnie depuis si longtemps, je me demande comment il sait qu'on n'a pas exactement raté sa vie, comment on fait pour dormir pleinement en dehors des bonus de l'existence, comme par exemple les nuits d'ivresse et de sexe et de passion partagées, mais ça passe, peut-être tout passe.
C'est un mythe, une anecdote glissée dans une conversation familiale, quelque chose d'imprécis, un truc dont je me souviens, je me souviens aussi de m'être fait traiter de conne et de pute, ou d'avoir parlé des sandwichs surgelés d'un enterrement à une soirée bourgeoise, je me souviens de choses comme ça, et de ce qu'il m'a dit à quelques reprises, qu'il se réveillait la nuit.