courage (17) luz volckmann
En ces temps troubles, nous avons demandé à des autrices et auteurs que nous admirons ce que la notion de courage leur inspirait. Souvenir, micro-histoire, anecdote ou réflexion plus métaphysique : ils sont nombreux à nous avoir répondu. Un feuilleton à suivre dans les prochaines semaines.
MADAME COURAGE
Petite sœur marche la zone sous les yeux du soleil et des Jésus des bancs. Une sirène derrière, les regards se retournent et la haine finit claquée au sol dans le crachat. Aujourd’hui, les pierres sont encore vides et tu traînes le béton d’un pas douteux, l’allure méfiante qu’un pied devant l’autre mène où que ce soit. Les boulevards comme des impasses et l’unique nuage c’est celui que tes poumons pleuvent. Pour s’en sortir, il faudrait courir assez vite pour voler toutes les langues, allumer tous les feux dans les ventres, les colères blotties, cachées entre l’œsophage et l’intestin grêle. Mais où les mettre en scène ? Le jour de plus trouvera toujours son crime, et tu auras gâché une larme de plus à regretter le soupir des défunt.e.s.
Petite sœur court la zone et perd le souffle. Casse un joint dans l’escalier, une latte à chaque marche jusqu’au rêve et puis, après, il faudra encore fuir le cauchemar. Monte dans les aigus et saccage l’oreiller. Sous l’ampoule, qu’on la crève cette ampoule, mais qu’on les crève les ampoules des foyers qui n’auront jamais assez de watts pour éclairer tes silences, à quatre pattes jusqu’aux chiottes pour vomir une autre espérance.
Petite sœur garde l’œil sur la nuit pour un matin qui ne vient pas. Oukhti !
Ce n’est pas la nuit qu’il faut craindre, c’est la peur. La peur est éternelle comme Dieu, et ses effroyables murmures s’écrivent avant les premières pages du monde. C’est cela être maudit.e : écouter le murmure et ne plus pouvoir le faire taire. Alors le murmure devient voix. La voix devient un cri qui cherche un corps et le corps en cherchera d’autres pour toujours être plus grand plus grand. N’écoute que tes jambes et tu seras bénie. Repose le monde et cours. Il n’y a rien à gâcher dans ton sourire. Cours tes larmes et ta voix, hurle le désespoir et la joie plus fort que le murmure.
Petite sœur court plus vite que la BAC et les ciste-ra
Parce qu’elle ne fuit pas
Petite sœur
Appelle-toi
Madame Courage.
Luz Volckmann est une jeune autrice vivant à Marseille qui se décrit comme « féministe, trans et militante ». Son premier roman Les Chants du placard a paru cette année aux éditions Blast.
On est très heureux de vous voir prendre un peu de temps pour la littérature !
Ce que vous venez de lire vous a peut-être ému.e.s, indigné.e.s, mis.e.s au défi ou inspiré.e.s ? Notre magazine en ligne vous permet de découvrir des textes inédits, dont nous passons commande à des écrivains et des traducteurs contre une juste rémunération.
Nous donnons bien sûr la parole à des auteurs confirmés, mais nous sommes aussi à la recherche de voix inédites, porteuses d’histoires moins attendues, parfois plus discrètes ou fragiles. A Passa Porta, nous trouvons crucial d’offrir une telle plateforme aux créateurs de tous horizons, de les accompagner si nécessaire dans leur processus d’écriture, et de les rémunérer en conséquence. Tout simplement parce que nous pensons que toutes les voix, dès lors qu’elles sont belles et innovantes, sont bonnes à entendre. Vous pouvez nous aider à maintenir cet équilibre en nous soutenant financièrement. Vos dons iront directement aux auteurs et aux traducteurs.
Chaque contribution, quel que soit son montant, nous aide à donner la parole à plus d’auteurs. Merci déjà chaleureusement.
Oui, je soutiens la création littéraire.