Laetitia Bica, l’élégance subversive du hasard

Catherine Colard
24.10.2018
20181023 Bb Laetitia Bica© P Schyns Sofam

Découvrez notre série inédite de portraits en lecteurs de personnalités vivant ou ayant vécu à Bruxelles !

Derrière sa frange et ses grandes lunettes, la photographe-portraitiste Laetitia Bica arbore le regard franc de la fille à qui on ne la raconte pas. Cette exploratrice de l’image contemporaine en raconte pourtant, des histoires. De celles où on se laisse fasciner par la beauté, au détour d’un chemin de traverse ou d’un coup du hasard.

Pas cliché pour un sou, l’artiste liégeoise, adoptée par Bruxelles depuis 12 ans, adore sortir de sa zone de confort pour bousculer les codes et construire une imagerie où le modèle est aussi acteur du processus créatif. Ses photos sont le fruit de rencontres artistiques et émotionnelles. Ainsi le télescopage originel avec le styliste Jean-Paul Lespagnard, qui a vite mis le tandem d’enfants terribles sous les feux de la rampe. Repérée dès sa sortie de l’école par la presse mode et toute une nouvelle génération de créateurs belges, Laetitia Bica se shoote aux shootings. Son addiction pour la photo contamine désormais les unes papier glacé, les éditos chics et chocs, les pochettes d’albums, les clips, mais aussi les cimaises des galeries et festivals les plus prestigieux (Festival international d’Hyères, Unseen Amsterdam, etc.)

Portrait d’une portraitiste-lectrice hors formats.

- Un endroit pour lire dans Bruxelles ?

Je vis pas loin du joli parc Josaphat. J’aime bien m’y poser avec un bouquin. Sinon, j’adore lire dans un train, un tram, un bus. L’agitation des transports en commun est intéressante. Le bruit environnant vient perturber la lecture et amène quelque chose d’autre. J’ai essayé de lire avec de la musique dans mon casque, mais ça ne va pas du tout. Je préfère lire avec ce que j’entends autour de moi, et faire avec. Mais les lieux calmes peuvent aussi être de chouettes endroits où passer un moment à lire. Quand on attend quelqu’un, au musée, dans une galerie...

- Un endroit favori pour acheter un livre à Bruxelles ?

J’aime beaucoup Tropismes. Pour les livres d’art, c’est Peinture Fraîche et Tipi. Bozar a rouvert un bookshop et ça me réjouit, car leur proposition est super diversifiée. C’est autant de l’image que des essais sur l’art, la philosophie, la sociologie. J’adore ça. Je lis trop peu de romans, alors que je crois foncièrement en la fiction. Mais je vais me rattraper !

Forcément, quand je vais voir des expos, le cornershop est incontournable. Certaines galeries réfléchissent vraiment à ce qu’elles vont y mettre en vente pour coller avec ce qu’elles exposent. Pas uniquement des catalogues, des cartes postales ou des magnets. J’ai ainsi découvert des bouquins qui vont plus loin sur ce que j’ai vu. Le dernier livre qui m’a beaucoup émue*, je l’ai trouvé à l’expo de Camille Henrot au Palais de Tokyo. Elle y proposait une sélection des livres qui l’inspirent et je trouve cette idée formidable.

Je peux aussi adopter des livres au détour d’un voyage, d’une rue, de hasards qui n’en sont pas. Pourquoi mon œil est-il attiré par un bouquin parmi cent autres ? Parfois simplement parce qu’il tombe d’une table...

- Un endroit pour vivre la littérature à Bruxelles ?

On ne trouve pas toujours des partenaires avec qui dialoguer. En soirées, on ne parle pas forcément bouquins. Je me souviens pourtant de l’ouverture d’un bar. L’ennui guettait. Comme j’adore provoquer la rencontre et que j’aime encore bien la polémique, j’ai été discuter avec un groupe d’inconnus. On a fini par échanger sur nos coups de cœur, sur les livres qui ont transformé notre façon de voir les choses. Rencontrer, partager, c’est définitivement essentiel.

photo © pascal schyns

* Emanuele Coccia, La Vie sensible. Traduit de l'italien par Martin Rueff. Payot et Rivages, "Bibliothèque Rivages", 2010.

Catherine Colard
24.10.2018