quatre questions à Monique Proulx, lauréate du Prix des 5 Continents 2023

ysaline parisis
22.09.2023
Nieuws
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Chaque année, le Prix des 5 continents récompense, notamment sous la houlette de Passa Porta, un livre reflétant l’expression de la diversité culturelle et éditoriale en langue française sur les cinq continents. En 2023, après Beata Umubyeyi Mairesse en 2021 et Karim Kattan en 2022, c'est la Québécoise Monique Proulx qui a emporté l'adhésion du jury avec "Enlève la nuit" (éds. du Boréal). Pour Passa Porta, Monique Proulx a accepté d’écrire un texte inédit, « Quel Autre ? », dans lequel elle éclaire la dimension si humaine de sa vocation d’écrire (lire le texte ici). Présentation en 4 questions de celle qui caractérise son français d’« audacieux, voire carrément délinquant par moments ».

Quel est votre tout premier souvenir d’écriture d’imagination ?

Je me rappelle avoir commencé un roman, l'avoir tenu 5 pages, et m'être dit que j'y reviendrais quand je serais "grande". J'avais autour de 12 ans. Je me rappelle qu'il s'agissait d'un héros masculin (mais oui, déjà), une sorte de poète exalté qui prenait les commandes d'un pays pour le transformer en paradis anti-capitaliste. Je n'y suis jamais revenue. Puisque vous m'y faites penser, on peut constater que déjà je souffrais du syndrome de la révolutionnaire romantique...

Dans Enlève la nuit, vous choisissez de suivre la trajectoire de vie d’un Juif hassidique en rupture avec sa communauté. Vous vous glissez volontiers dans d’autres vies que la vôtre, en particulier celles de personnages masculins. Qu’est-ce que cela vous permet ?

Ce sont sans doute les personnages qui choisissent les écrivains, et non l'inverse. Ceux et celles qui débarquent dans mon imaginaire ont tous quelque chose à m'apprendre sur moi -sur la condition humaine. À priori, je ne décide rien, et peu me chaut que ce soit des hommes ou des femmes, des vieillards ou des adolescents, des démunis ou des bien nantis qui s'imposent à mon esprit. Dans le cas d'Enlève la nuit par exemple, le héros, Markus, avait déjà fait une courte apparition dans mon livre précédent (Ce qu'il reste de moi), et c'est comme s'il réclamait que je poursuive son destin. Sa quête est immense: découvrir qui il est, sous les conditionnements accumulés. J'ai donc pu faire de sa quête la mienne, suivre un personnage complètement neuf qui vient au monde avec les yeux émerveillés et horrifiés d'un nouveau-né. Ça m'a donné une liberté magnifique. Ça m'a permis de revisiter ma société, dans la peau de Markus, de redécouvrir à quel point on s'égare et on fuit, à quel point dans le fond notre monde est souffrant. Et de me rappeler surtout que la solidarité est urgente.

Quelle langue d’écriture est-ce pour vous, le français ?

J'écris dans la langue de mes ancêtres, ma langue depuis toujours. J'ose dire que la langue est le personnage principal de mes romans. Le français est la glaise avec laquelle je tente de sculpter de la beauté, de transmettre de la beauté. Les romans tels que je les conçois s'arc-boutent d'abord sur l'écriture, même s'ils racontent une histoire. Je ne peux véritablement avancer dans un roman tant que je n'en ai pas trouvé la forme, la musique qui en sous-tendra l'univers particulier. J'ai un rapport à la fois jouissif et douloureux avec cette langue qui est mienne, parce que j'aime la mettre à ma main tout en exaltant ses virtuosités, et qu'elle ne se laisse pas toujours faire. Le français est un instrument de musique fabuleux, et toute une vie de pratique ne parviendra pas à en épuiser les nuances.

Que signifie pour vous être devenue une autrice internationale ?

Vous me faites sourire. Je ne parviens pas à me définir de cette façon. À vrai dire, quand on écrit dans une langue parlée et lue par d'autres, il semble inévitable que ça finisse par franchir les frontières imaginaires que sont les pays. Il est vrai que ça prend parfois du temps. Et que parfois ça n'arrive jamais. Je n'y peux rien, la diffusion ne m'appartient pas. Ma seule tâche est d'écrire, de bien écrire. Si je suis particulièrement ravie de l'accueil outre-frontière fait à Enlève la nuit, c'est en raison de Markus. Je trouve que la parole de Markus mérite de se rendre loin parce qu'elle peut réenchanter le lecteur et le monde, que tout en ce moment concorde à désespérer.

En mars dernier, l’ex-grande voix de France Inter Paula Jacques, présidente de ce prix prestigieux et mondial, déclarait Monique Proulx lauréate et saluait en Enlève la nuit (éditions Boréal) son roman couronné, un « très singulier, poétique et original roman ». Romancière, nouvelliste et scénariste, Monique Proulx a déjà remporté le Prix des libraires du Québec et le prix Québec-Paris pour son roman Homme invisible à la fenêtre (1993). Son roman précédent, Le sexe des étoiles (1987), a également fait l’objet en 1993 d’une adaptation cinématographique par Paule Baillargeon, en lice aux Oscars et aux Golden Globe Awards. Huitième livre (et sixième roman) de l’autrice québécoise, Enlève la nuit raconte l’histoire d’émancipation de Markus Kohen, un juif hassidique qui, au début de la vingtaine, quitte sa communauté fermée pour voler de ses propres ailes dans une métropole nord-américaine fictive.

ysaline parisis
22.09.2023