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Lisez-vous le belge ?

13.11.2025
min

C’est devenu une tradition : chaque année au mois de novembre, l’opération « Lisez-vous le belge ? » met en lumière la littérature belge francophone. 

Partenaires de cette opération, Passa Porta propose d’interroger la destinée de la littérature belge hors de ses frontières. « Lisez-vous le belge ? Et quel est votre livre belge préféré ? » : nous avons posé la question à des traducteurices littéraires qui sont la voix de livres belges à l’étranger. 

Voici leurs -parfois étonnantes- réponses. Venues de Grèce,  de Colombie et du Brésil. 

Le choix de Christina A. Oikonomopoulou, traductrice grecque : Les Villes tentaculaires d’Emile Verhaeren. 

« Mon livre préféré de la littérature belge est le recueil de poèmes d’Émile Verhaeren Les Villes tentaculaires. Bien que ce livre date de la fin du 19e siècle, il continue de me fasciner par sa charge d’urbanisme dystopique et surtout prophétique. À travers les flâneries dans la toile urbaine d’un sujet lyrique anonyme et privé de toute subjectivation émotionnelle, nous nous trouvons en tant que lecteurs et lectrices au milieu d’un panorama époustouflant topographique des lieux qui constituent les piliers des villes modernes, transformées à jamais par l’urbanisation, l’industrialisation et le capitalisme économique. Loin d’être un flâneur au sens baudelairien du terme, l’orateur d’Émile Verhaeren nous invite à goûter des visions subversives d’une mosaïque multicolore d’endroits des villes modernes comme les promenoirs, les cathédrales, les ports, la Bourse, les spectacles forains, mais aussi les usines, les simples rues ou les carrefours, tous stigmatisés par les enjeux d’une ère économique et sociale nouvelle. Oscillant entre le passé et le présent, l’individuel et le collectif, la solitude et la sociabilité, l’héritage ancestral et le besoin de progrès dont les conséquences s’annoncent déjà destructrices, le poète belge nous offre dans Les Villes tentaculaires une optique écopoétique renversée et prophétique de nos temps actuels –optique selon laquelle les villes, malgré leur ampleur topographique, finissent par être des espaces claustrophobes qui suffoquent leurs citadins tout en les plongeant dans un état de solitude, de pessimisme et de mal-être. »

Christina A. Oikonomopoulou est docteure de Littérature générale et Comparée et traductrice, elle enseigne depuis plus de vingt ans les écritures théâtrales-monde d’expression française au Département d’Etudes théâtrales de l’Université de Péloponnèse en Grèce. Elle était en résidence à Passa Porta cet été pour travailler à la traduction en grec d'une anthologie théâtrale autour de la violence et de la maltraitance exercées contre les femmes à travers les corpus des autrices belges Pamela Ghislain, Laure Chartier et Céline Delbecq. 

Le choix de Daniel Camilo Fajardo, traducteur colombien : “En perte, délicieusement” de Bart Vonck (traduit du néerlandais par Bart Vonck et Daniel Cunin, éds. Le Cormier) 

« J’ai parcouru ces derniers mois un large éventail de la poésie belge contemporaine. Le recueil En perte, délicieusement de Bart Vonck se distingue selon moi au sein d’une production belge diverse et de plus en plus reconnue à l’étranger. Tout d’abord, le recueil s’inscrit au carrefour linguistique qui définit la belgitude : écrit à l’origine en néerlandais, En perte, délicieusement a été traduit en français directement par son auteur (avec la collaboration de Daniel Cunin), un geste qui inscrit le livre à la fois dans la littérature belge francophone et dans la littérature belge néerlandophone. Soit au cœur d’une histoire littéraire belge remarquable à l’échelle européenne tant par sa multiculturalité intrinsèque que sa richesse verbale. En perte, délicieusement rend pleinement compte du caractère protéiforme qui  caractérise la littérature belge  depuis des décennies; une littérature qui, du surréalisme ludique de Paul Nougé aux explorations formelles d’écrivaines comme Sophie Podolski ou Anne Penders, s’est démarquée par son audace changeante et son esprit d’expérimentation. 

Entre autres mérites poétiques, En perte, délicieusement met en scène un “moi” lyrique expansif, qui découvre des régions du vivant nouvelles et inattendues à travers une étude rigoureuse des possibilités expressives du vers. Les poèmes qui composent ce recueil, habités par le désir de sonder l’inconnaissable, mènent le langage à ses limites et instaurent un rythme exubérant, oscillant entre l’élan et la perplexité. Les vers aspirent à l’abondance et la révèlent dans l’incision chirurgicale de chaque ligne, dans le tremblement du mot qui se fracture pour illuminer. Qu’il s’agisse de figurations abstraites, où la poésie fouille la matière écumeuse de la sensation, ou de plaintes ardentes et tendres, par lesquelles se ravive la passion des corps fatigués, ce recueil propose un riche répertoire de délires qui agitent toutes les pertes et tous les délices qui nous guettent, et qui, heureusement, ne cessent de nous guetter. »

Daniel Camilo Fajardo est traducteur colombien. Il enseigne à Bogota à la Universidad Nacional de Colombia. Il était en résidence cet été à Passa Porta pour travailler à la traduction en espagnol (Colombie) de trois numéros de la revue surréaliste belge Distances -janvier, février et avril 1928- avec notamment des textes de René Magritte, Marcel Lecomte ou Paul Nougé).  

Le choix d’Erick Hernández Morales, traducteur mexicain : Matières Fermées de William Cliff (éds. La Table Ronde). 

« Si je ne devais choisir qu’un seul livre signé d’un auteur belge francophone, ce serait Matières fermées de William Cliff. Le style de William Cliff, alliant regard perçant et maîtrise de la forme, m'a séduit tout de suite. Ses vers ont une vitalité que je n'avais jusque-là trouvée nulle part ailleurs dans la production contemporaine, affectée souvent par une raideur muséale soit par un ton parodique.  

A l'image des grands poètes, Cliff me semble un être immense pour sa capacité à puiser de la poésie dans l'existence, que ce soit dans l'immédiateté de la vie quotidienne, ou dans ses souvenirs, auxquels il revient comme à une mine inépuisable. Son œuvre ne donne jamais l'impression d'être le fruit d'un génie, mais plutôt confectionnée par un homme qui se consacre à son art aussi humblement qu’à n'importe quel autre métier. 

Matières Fermées a été pour moi un de ces livres dont on voudrait qu'ils ne finissent jamais. Le refermer a été comme dire au revoir à un ami dont la voix allait me manquer. Heureusement, Cliff a continué à publier ensuite. Et il possède à son actif de nombreux autres textes où le retrouver. » 

Christina A. Oikonomopoulou est docteure de Littérature générale et Comparée et traductrice, elle enseigne depuis plus de vingt ans les écritures théâtrales-monde d’expression française au Département d’Etudes théâtrales de l’Université de Péloponnèse en Grèce. Elle était en résidence à Passa Porta cet été pour travailler à la traduction en grec d'une anthologie théâtrale autour de la violence et de la maltraitance exercées contre les femmes à travers les corpus des autrices belges Pamela Ghislain, Laure Chartier et Céline Delbecq. 

13.11.2025