out-of-office: jérôme poloczek

28.07.2022
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Passa porta phylacytère OK

L’odeur languissante de l’été s’est infiltrée jusque dans les bureaux de Passa Porta. La maison des littératures fermera ses portes du 20 juillet au 15 août. Plutôt que de souscrire à la tradition d’e-mails d’absence peu inspirés, nous avons eu l’envie de confier la rédaction de nos réponses « out of office » à douze écrivains belges et internationaux, dans des langues et formats variés. Leurs messages, accompagnés de conseils de lecture, vous seront dévoilés en quatre épisodes au cours des prochaines semaines. Une série littéraire au format inédit, et l’occasion -pourquoi pas- de choisir ce qui deviendra votre propre annonce d’absence…

Ci-dessous, le message « out of office » de l'auteur Jérôme Poloczek. Poète belge né en 1979, il a publié plusieurs livres entre recherche éditoriale, littéraire et écriture performative. Son dernier “Presque Poèmes” est paru en 2021 aux éditions Tétras Lyre. Il est l’un des auteurs que Passa Porta accueillera dans le cadre de “Seneffe en août”, une résidence d’écriture estivale annuelle au château de Seneffe.


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Objet : OUT-OF-OFFICE
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Bonjour,

Je n’ai actuellement pas accès à ma messagerie, je vous explique.

Je me souviens de mon premier ordinateur. J’avais onze ans. Avant, il n’y avait pas cette grosse chose sur la table. De la concentration, elle prenait. Cette chose intrigante. Décevante. Je ne savais pas m’en passer. Devant les lumières, le temps passait et l’espace. Se dissolvait. Chaque seconde paraissait. Une découverte. Que je risquais. D’oublier. J’oubliais mes pieds. Ma tête grossissait. Mon corps mollissait. Mollissait comme un ver.

Au début c’était lent. Je m’impatientais. Ensuite, plusieurs fenêtres ont joué en même temps. Le flux faisait des fils invisibles. Je m’entourais de fantômes. La connexion ne sursautait plus. Ouf, je pourrais être alerte, s’il y avait une odeur de gaz, à 2.000 kilomètres.

Mais. Boum. Schlouic. Le flux s'est coupé. Il s'est détendu comme un arc à flèche, a lacéré l’air puis est retombé, serpent mort. Maintenant je suis éberlué. Tant de données, en un instant, sont parties. Il faut déblayer à la main. Eau brûlée. Ça sent le plongeon. Je suis perdu. Je touche une pierre et dessus, de la mousse. Une mousse comme un animal à la plus pure des conversations.

Si vous recevez ce message après mon départ, transmettez à qui vous voudrez.

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Conseil de lecture/d’écoute de Jérôme Poloczek

Le sens de la mesure, Dominique Petitgand. En ce moment, je dessine des miniatures avec patience. Je le fais pour retrouver une présence singulière dans le flux des images accumulées, reproductibles et numériques. Pendant ce temps, je peux écouter de la musique. Ou par exemple, Du mercurochrome de Dominique Petitgand : avec des voix et des sons, il crée des béances ou des répétitions. Rendu simple et presque miniature, le discours retrouve ainsi une présence. On y entend comment un enfant peut soigner la blessure d’un autre enfant. C’est de la littérature et c’est de la musique. C’est expérimental et c’est une comptine. Et ça ne s’épuise pas : on peut réécouter les mêmes mots, les mêmes sons - chaque fois il y a de la présence au milieu.

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(Si vous souhaitez faire partir ce message d’absence de vos propres boîtes mail, merci de mentionner : © Jérôme Poloczek, pour la Maison internationale des littératures Passa Porta, 2022)

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illustration : © valentine laffitte pour passa porta, 2022.
28.07.2022