Traduisez-vous le belge ? 3. au théâtre !

05.02.2021
Lisez vous le belge Fond blanc

Qu’est-ce que traduire ? Et comment s’exporte la littérature belge francophone au-delà de nos frontières ? En 2020, Passa Porta a soutenu 20 nouveaux projets de traduction littéraire. Leurs traductrices et traducteurs ont accepté de revenir sur leur pratique et, en avant-première, de nous dévoiler un extrait de leur travail en cours. Cinq semaines, cinq thématiques.

semaine 3 : au théâtre !

chapitre 1 : Dream job(s) d’Alex Lorette (éd. Lansman)

Alex Lorette, auteur, comédien, metteur en scène belge, se consacre depuis plusieurs années principalement à l'écriture. Diplômé en économie et en sociologie, il est également détenteur d'une licence en sciences théâtrales. Dream Job(s) a été lauréat d’Artcena (Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre, France, 2018). Sous le titre Les inductions chromatiques, la pièce a été double lauréate du Prix des metteurs en scène en et hors Belgique, 2017/18. Elle est dans la sélection du prochain prix Sony Labou Tansi et aussi dans celle du prix de littérature dramatique de la SACD.

Sa traduction en allemand est prévue dans la collection Scène du Bureau du Théâtre de la Danse de l’Institut français d’Allemagne, dans une anthologie Scène 22 qui reprendra sept autres traductions d’auteur.e.s francophones.

Elle est l’œuvre des co-tradutrices Silvia Berrutti-Ronelt et Christa Müller.

La première a entre autres été formée au Centre européen de traduction littéraire de Bruxelles. Elle a été responsable du projet de traduction, de mise en scène et d’édition TRAMES (Traductions mises en scène) de la Convention Théâtrale Européenne. Actuellement elle dirige en Belgique, un projet pour la promotion des écritures dramatiques contemporaines : Les lundis en coulisse. Du français vers l’allemand, on lui doit notamment des traductions de pièces de Philippe Claudel, Suzanne Émond, Nicole Malinconi. Aidée de partenaires francophones, elle traduit également des pièces de l’allemand vers le français (e.a de Peter Handke, Dominique Busch, Anja Hilling).

La seconde a été dramaturge et actrice et est aujourd’hui adaptatrice et traductrice de pièces de théâtre. Depuis 1983, elle a un partenariat avec le Deutsches Theater et son directeur Ulrike Khuon. Dans ce cadre, elle collabore depuis 1997 étroitement avec la Convention Théâtrale Européenne et depuis 2009 avec le réseau théâtral international Misos21. On lui doit des co-traductions de Sarah Berthiaume (avec Frank Weigand), de Nathalie Fillion et Lucie Depaux (avec Laurent Muhleisen).

Avant de se lancer sur la traduction d’une deuxième pièce d’Alex Lorette, La vie comme elle vient, elles sont revenues pour nous sur Dream Job(s) :

« La forme de cette œuvre est particulière : au centre, il y a Chloé, une jeune femme entourée d’un cercle de personnages hauts en couleur. L’action se compose d’une mosaïque de 28 scènes dont le déroulement ne suit aucune chronologie. Le lien se fait grâce à Tony, une sorte de « metteur en jeu » qui intervient dans les diverses scènes en tant qu’ami, observateur ou commentateur, tout en endossant parfois l’un ou l’autre rôle. […] Nous souhaitons que la pièce traduite soit toute aussi efficace que son original. Nos expériences de dramaturges et de conseillères littéraires ainsi que nos proximités avec le plateau nous y sont d’une grande utilité. Loin de vouloir faire une adaptation, nous prenons des libertés minimes en vue de l’effet que le texte pourra produire sur les scènes allemandes.»


Chapitre 2 : The Guitrys d’Eric-Emmanuel Schmitt (éds. Albin Michel)

Cette pièce du dramaturge, romancier, nouvelliste, essayiste, cinéaste franco-belge est l’hommage d’un homme de théâtre à un autre : c’est l’occasion de retrouver, à travers les dialogues de Schmitt, la verve d’un esprit caustique du XXe siècle. Dans cette pièce sur Guitry « à la Guitry », le dramaturge poursuivi par les huissiers, insatisfait de son ménage, se réfugie dans son théâtre. Là, son régisseur ainsi que les musiciens qui répètent au loin l’obligent à penser à celle qu’il a quittée autrefois, mais qu’il aime toujours : Yvonne Printemps.

La pièce est à paraître en polonais sous le titre GWIAZDY chez Drameditions, maison d’édition sans but lucratif dirigée par Jan Nowak, la seule à publier du théâtre dans son pays. Ce dernier développe un projet en trois facettes « Traduire – Publier – Diffuser », afin d’aider à la circulation des textes de théâtre. Du côté belge francophone, on lui doit déjà des traductions de Paul Emond, Jacques De Decker, Laurent Van Wetter, Stanislas Cotton, Veronika Mabardi, Geneviève Damas ou Jean Louvet.

Voici le regard qu’il porte sur Éric-Emmanuel Schmidt, ouvreur de portes :

« Le choix d'Eric-Emmanuel Schmitt n'est pas dû au hasard. C'est un auteur qui est très connu en Pologne et qui joue un peu le rôle de "locomotive" pour d’autres. Dans ma promotion des auteurs belges en Pologne j'utilise souvent la "carte" Schmitt pour faire jouer les autres auteurs…et ça fonctionne ! »


Chapitre 3 : Respire de Daniela Ginevro (éd. Lansman)

Formée en langues et littératures romanes à la Kleine Academie de Bruxelles, Daniela Ginevro est aujourd’hui metteuse en scène, professeure et autrice, spécialisée en pièces pour la jeunesse. Elle est artiste associée au Théâtre La Guimbarde depuis 2009. Dans Respire (quatrième prix Annick Lansman), elle donne à lire la relation entre une mère célibataire précaire et sa fille de neuf ans, Lucy. Prises dans les aléas du quotidien, toutes deux rêvent d’échappatoire et constituent la bulle d’oxygène de l’autre. Mais aujourd’hui, Lucy attend sa mère à l’école sans la voir arriver...

Sa traduction en italien, Respira, est une collaboration entre Lansman Éditeur et l’Université de Gênes (pour une partie du financement, la distribution et la diffusion), et paraîtra dans la collection Babel on Stage (destinée aux pièces du catalogue traduites en langue étrangère) chez Lansman. Elle a été assurée par Chiara Rolla, chercheuse spécialisée dans le roman français contemporain, la prose française du XVIIe siècle et la traductologie. On doit également à cette dernière une monographie sur Michel Chaillou, des articles sur Marie Ndiaye, Laurent Mauvignier, Pierre Senges ou Mathieu Riboulet et la direction de l’ouvrage collectif La littérature et les arts : paroles d’écrivain.e.s.

Voici les points sur lesquels la traductrice a souhaité rester attentive dans son approche de Respira :

« Il était nécessaire de garder en langue d’arrivée l’oralité enfantine qui caractérise la langue de Lucy, la petite fille de la pièce. Son parler en fait est caractérisé par un registre informel et familier. Il fallait également que je reste attentive pour conserver le ton intime du flux de conscience qui dénote les monologues intérieurs de Lucy (qui, d’un point de vue typographique, dans le texte original sont mis en évidence par un retrait de paragraphe à droite).»


Chapitre 4 : La petite évasion de Daniela Ginevro (éd. Lansman)

En espagnol (du Mexique), la pièce de Daniela Ginevro est à paraître sous le titre El pequeño escape chez Editorial de la Casa accompagnée de la traduction de Respire de la même autrice (voir plus haut).

Ce sont Humberto Perez Mortera et Nadxeli Yrízar Carrillo qui se sont attelés à cette double traduction. Le premier est auteur, professeur et traducteur (de théâtre, de bande dessinée et de littérature jeune public). Ses langues sources sont l’anglais, le français, le suédois et le portugais vers l’espagnol comme langue cible. On lui doit notamment la traduction de pièces de Pascal Rambert, Jennifer Tremblay ou Eugene O’Neill.

La seconde est professeure de Recherche et Sources documentaires et de Critique de la Traduction et traductrice indépendante du français et de l'anglais à l'espagnol, surtout de littérature jeune public (Michel Van Zeveren, Raphaël Martin et Guillaume Paintevin, Ute Fuhr et Pierre Hugo), de théâtre (e.a Philippe Dorin), de sciences humaines et sociales (Evgen Bavcar) et elle donne des cours de traductologie. Ensemble ils ont traduit en espagnol les pièces Visage retrouvé et Poisson-soi de Wajdi Mouawad, Debout! et Tom de Stéphanie Mangez et L'enfant sauvage et Cinglée de Céline Delbecq.

Voici le regard de ce duo de traducteurs sur ce double projet :

« La dramaturgie belge est très peu connue au Mexique. Depuis 2018, nous cherchons à la faire connaître davantage. […] Les deux pièces font partie du catalogue Lansman jeune public, une subdivision qui nous enthousiasme […]. Nous cherchons à mettre à destination des lecteurs/spectateurs mexicains un théâtre pour l’enfance qui contribue à construire un regard émancipateur et participatif sur la jeunesse. Un dialogue solidaire entre parents et enfants, où les jeunes puissent reconnaître leurs histoires sans la sanction prescriptrice de ce qu’ils doivent ou ne doivent pas faire. […] Nous trouvons que les pièces de Daniela Ginevro touchent à des thèmes qui sont importants pour la construction de l’identité adulte […]. Ses personnages enfants se battent pour défendre leur indépendance et sont motivés par la solidarité entre semblables, ils font communauté pour survivre. Ses textes parlent d’un monde quotidien difficile, mais aussi poétique et porteur d’espoir, avec une langue d’autrice riche et mature, frontale et tendre. Nous pensons que ces pièces représentent un univers qui peut avoir un écho dans d’autres espaces géographiques culturels, littéraires et théâtrals, comme l’espace mexicain ou plus généralement hispanophone.»


Chapitre 5 : Le départ de Mireille Bailly (éd. Lansman)

Actrice pour Axel de Booseré et Maggie Jacquot, qu’on a pu notamment voir dans des films des frères Dardenne ou des pièces de Jacques Delcuvellerie ou Philippe Kessel, Mireille Bailly est également autrice de théâtre (Poids plume, R.H.). Pour le Le Départ, elle a reçu le prix de l’InédiThéâtre, un prix lycéen de pièces alors inédites, après quoi elle a été publiée chez Lansman.

La pièce sera publiée en espagnol (Mexique) en 2021 dans la collection de textes pour adolescents de Los Textos de la Capilla (Segunda Época) sous le titre El Adiós. Le traducteur de la pièce, Boris Schoemann, par ailleurs également metteur en scène, se propose de monter le texte au Mexique avec sa compagnie Los Endebles. On lui doit notamment des traductions de Bernard Marie Koltes, Copi, Heiner Muller, Larry Tremblay ou Wajdi Mouawad…

Il nous parle de son ressenti à propos de cette courte pièce grinçante :

« C’est une pièce absurde, surréaliste, pleine d’humour noir, politiquement incorrecte, abordant de manière à la fois subtile et déjantée la violence familiale, la protection exacerbée proche de la castration, le machisme, les rapports de classes, le racisme quotidien […]. Elle est d’une grande intelligence pour mettre le doigt où ça fait mal, sans aucune prétention de dénoncer, seulement de peindre la réalité d’une manière un peu décalée dans un contexte contemporain qui nous interpelle dans toutes les latitudes. L’image idéalisée que les jeunes Mexicains (et leurs ainés) ont de l’Europe sera un peu mise à l’épreuve dans une société tant raciste et fondée sur les rapports de classes comme la mexicaine. […] Après avoir traduit et monté au Mexique des pièces québécoises et mexicaines aux thèmes tabous […], et avoir pu créer une conscience pour ouvrir le théâtre pour jeune public vers des histoires moins “roses” ou “éducatives”, j’ai maintenant le désir de monter et diffuser des oeuvres moins poétiques […]. J’ai toujours été convaincu que les jeunes sont très réceptifs à l’humour, même s’il est déplacé, et que c’est une des armes qui restent pour les artistes de pouvoir trouver un terrain commun pour une discussion qui sortira des sentiers battus et de thèmes et formes socialement acceptés.»

05.02.2021