Note sur mon livre épistolaire par mail, 'Stratégie d’une passion'

Nathalie Gassel
23.04.2019
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Cover Stratégie Dune Passion

Les mails: l’action des mots écrits est reçue de façon instantanée, selon sa disponibilité, par le destinataire. L’effet est donc immédiat. Mais pour que l’effet de ce qui est dit demeure, il faudra répéter de mêmes mots, car les archives du courrier électronique sont peu vraisemblablement relues comme l’objet physique à manipuler qu’est une lettre envoyée sur papier. Cependant, le livre double la première fonction (d’immédiateté temporelle) par la seconde (d’archivage - objet - à reconsulter). Il est nécessaire pour palier à la seule immédiateté d’en répéter le contenu, redire, c’est aussi maintenir le lien en éveil, c’est être dans l’affect de la relation amoureuse qui se perpétue, où l’on revient sans cesse vers l’autre, et vice-versa, pour que les échanges persistent, d’autant qu’existe la distance géographique à laquelle on essaye de palier à travers une présence « la plus continue possible » par le texte (une invasion en désespoir de cause). Cette énergie de prendre d’assaut est présente pour compenser le manque d’évidence du succès de cette entreprise compliquée, comme par forcing .

Le livre Stratégie d’une passion est le témoin de cet effort, dans un laps de temps défini par cet échange mais aussi prolongé par l’objet livre, d’être avec l’autre, le lecteur destinataire, et les lecteurs multiples. L’effort est permanent, je suis là avec toi, le plus immédiatement possible malgré la séparation physique. Essayons de pallier au manque! C’est difficile. Ce n’est jamais acquis, c’est une contre réalité de la passion amoureuse qui veut les chairs ensemble dans un même espace-temps. Le livre est cette tension vive. Parfois ce cri de détresse. Cet appel continu à travers les e-mails à passer ce temps conjointement dans la représentation imaginaire de la présence, par défaut.

L’adresse à un autre déterminé à qui l’on écrit pour le séduire, implique une fiction de soi allant dans le sens amoureux du partage d’un lieu imaginaire commun, où les fantasmes des deux protagonistes se rejoignent. On tente pour envouter et captiver d’effacer certains aspects (jugés déficients ou rébarbatifs) et d’en amplifier d’autres qui vont dans le sens assez radical mais ou tous deux se rejoignent, de l’attente du destinataire. Je dois ouvrir une parenthèse qui contredit quelque peu et pourtant s’y juxtapose ce qui vient d’être dit, il est question aussi de faire ressurgir toutes les parts d’ombres, (Dostoïevski, Genet), d’assumer des difficultés inhérentes aux complexités négatives de l’être, notamment en affichant ce vers quoi mène la passion dans son absolu besoin du lien qui implique une assise volontaire de le créer, et indique en filigrane, un tourment. (Voir le trauma originel de l’insignifiance de l’enfance). En ce sens, toute présentation de soi est une recréation et une stratégie, même au sein de la passion la plus sensible et fougueuse.

Je noterai aussi le féminisme omniprésent, car l’on se trouve à l’étroit dans les lieux du féminin, y compris en amour. Le charnel est transfiguré par les muscles et par la libération salutaire des rôles genrés dans l’intimité et la sexualité. Ici, la femme par son assiduité sportive domine toujours de sa chair et sa force son partenaire masculin. Lui jouit de ce nouvel aspect qui correspond à ses stimulations et ses attentes les plus intimes mais parfois trop secrètes, car il est de bon ton pour lui de ne point divulguer vers le dehors, ce qui l’habite et qui se révèle encore un tabou social.

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Nathalie Gassel
23.04.2019