Traduisez-vous le belge : 4. Nouvelles et récits

26.02.2021
Lisez vous le belge Fond blanc

Qu’est-ce que traduire ? Et comment s’exporte la littérature belge francophone au-delà de nos frontières ? En 2020, Passa Porta a à nouveau soutenu 20 nouveaux projets de traduction littéraire. Leurs traductrices et traducteurs ont accepté de revenir sur leur pratique et, en avant-première, de nous dévoiler un extrait de leur travail en cours. Cinq semaines, cinq thématiques.

semaine 4 : nouvelles et récits

chapitre 1 : Le plus petit zoo du monde de Thomas Gunzig (eds. Diable Vauvert, 2003, Folio, 2005).

Dans ce recueil qui a obtenu le Prix des Éditeurs l’année de sa sortie en 2003, Thomas Gunzig (Mort d’un parfait bilingue, La Vie sauvage) assemble un bestiaire loufoque, jamais dénué d’absurde et de son fameux humour corrosif.

En version roumaine, le recueil de nouvelles paraîtra sous le titre Cel mai mic zoo din lume aux éditions Casa Cărţii de Ştiinţă dans la collection belgica.ro, consacrée à la littérature belge. C’est la première fois que l’auteur belge sera publié en langue roumaine, avec, également en prévision, la traduction de son Manuel de survie à l’usage des incapables.

C’est Ovidiu Komlod (alias que s’est désormais choisi Laurenţiu Malomfălean tant pour ses traductions que pour son œuvre personnelle de poésie) qui est en charge de la traduction. Dans sa bibliographie de traducteur, on trouve Christelle Dabos, Élisa Brune, Georges Perec, Yannick Haenel, Maylis de Kerangal, Philippe Besson ou Éric-Emmanuel Schmitt.

Voici ce qu’il dit du Plus petit zoo du monde :

"Chaque texte inclus dans cette collection nous divulgue un animal qui connaît un sort funeste. Le prosateur nous livre un bestiaire extravagant, à la fois loufoque et étrange, à travers quelques récits « naturalistes » à l’humour corrosif et toujours noir. Ainsi, on entre dans un monde absurde, et tranquillement délirant : une carcasse de girafe qui pourrit dans un jardin de banlieue, une voiture volée et retrouvée dans laquelle un crime sexuel et cannibale devient contagieux, une vache semblable à une belle jeune fille mais qui reste vache, un koala surpris à l’épreuve du froid, c’est-à-dire autant d’animaux qui viennent jouer plein de fausses notes dans le quotidien désespérément ordinaire d’humains englués dans des vies qu’on pourrait considérer a priori comme insignifiantes. J’ai eu l’occasion et la joie de lire ce volume l’année dernière lors de ma résidence au Collège des Traducteurs Littéraires de Seneffe, où je me suis rendu compte que le principal défi en ce qui concerne la traduction de ces textes absurdes – qu’on peut parcourir d’une façon assez légère – serait précisément le style alerte, avec de longues phrases pleines de virgules pour donner l’illusion d’un rythme rapide. Je me suis donc fixé d’arriver à une transposition aussi fluide que l’original."

chapitre 2 : Les pas perdus d’Étienne Verhasselt (eds. Le Tripode, 2018)

Ce premier recueil d’Etienne Verhasselt (par ailleurs psychologue clinicien) a été finaliste du Prix Rossel l’année de sa parution, en 2018. En nouvelles souvent brèves, l’auteur bruxellois injecte de l’absurdité dans un monde déjà hors gonds, se joue de la frontière entre réalité et imaginaire et rend subversifs les objets les plus familiers.

En langue espagnole (d’Argentine) le livre sera publié par Añosluz editora, maison d’édition basée à Buenos Aires, dans une collection de littérature étrangère qui comportait jusqu’ici surtout des auteur.e.s russes (Dovlatov, Tsvetaïeva, Lermontov, Khlebnikov, Ehrenbourg), mais s’ouvre peu à peu à d’autres littératures. Y sont déjà en projet des textes francophones contemporains (Étienne Verhasselt sera le premier) et roumains et, à suivre, des auteurs suédois, catalans, italiens, brésiliens.

La traduction du recueil Les pas perdus a été confiée à Ariel Dilon, à qui l’on doit entre autres des traductions de d’Henri Michaux, Henri Roorda, Raymond Queneau, Phillip Sollers ou J.M.G Le Clézio.

Il nous explique en quoi traduire Étienne Verhasselt faisait sens pour lui :

"Le style, la sensibilité et le regard très personnels de son auteur sont en même temps singulièrement voisins d’une tradition littéraire cultivée [chez nous]. […] En Argentine, le pays de Cortázar – et par ailleurs dans le reste de l’Amérique Latine qui a donné à l’imaginaire un si libre cours littéraire – il pourrait bien exister un lectorat potentiel prêt à se régaler comme moi avec les petites fables parfois obscures, toujours surprenantes mais d’une pertinence philosophique foncière, que Verhasselt nous offre à pleines mains. Cette collection de courtes nouvelles est un nouveau coup de dés qui chiffre de manière très personnelle les dons toujours vitaux de l’invention loufoque, de la liberté créative, de la rupture de codes, de l’intrusion du fantastique, de l’absurde ou même de l’animisme dans un quotidien fixé par là même d’un œil lucide et à nouveau éveillé : autant des procédés de « défamiliarisation ». ”

La nouvelle traduite est la première du recueil, René Desessendre.

chapitre 3 : Délires d’André Baillon (1927)

Si André Baillon (1975-1932) fait désormais partie du domaine public, son Délires a fait l’objet d’une réédition en poche par Espace Nord en 2010, avec une postface de Geneviève Hauzeur. D’inspiration largement biographique, les œuvres du génial Belge (Chalet 1, Le Perce-oreille du Luxembourg, Histoire d’une marie) oscillent à la frontière de la folie, entre humour et souffrance.

En traduction bulgare, le récit est à paraître sous le titre Умопомрачения (littéralement, « Folie ») aux éditions SONM dans la collection Visages de l’altérité (dirigée par Todorka Mineva depuis 2012). En ce qui concerne les auteurs belges francophones, elle comporte déjà une traduction d’Escal-Vigor de Georges Eekhoud (roman autour d’une liaison homosexuelle) mais aussi, depuis 2019, La Théo des Fleuves de Jean-Marc Turine (Prix des Cinq Continents de la Francophonie en 2018) qui aborde la question du racisme anti-Roms.

La traductrice du récit, Todorka Mineva est par ailleurs professeure assistante dans le cadre du programme de maitrise rédaction/traduction française/bulgare à l’Université de Sofia et directrice de trois autres collections (Espace littéraire, Voix, Rhizome) toujours aux éditions SONM. On lui doit entre autres le passage en bulgare de textes de Corinne Hoex, Franz Hellens, mais aussi, hors textes belges, de Lévinas, Deleuze et Guattari, Carole Fives ou Nathalie Sarraute.

Voici ce qu’elle dit de ce récit double :

"Délires d’André Baillon est composé de deux contes : « Des mots. Drame cérébral » et « Ève et Kiki. Drame familial », qui sont considérés comme une de ses œuvres majeures. « Je vis mes histoires », dit le protagoniste de « Des mots ». L’aliénation, le vide de la signification et les tentatives de sa restauration dans les délires sont des thèmes prépondérants dans ses textes. L'auteur nous décrit, avec empathie et humour, un monde étrange, juste à la « limite obscure, indécise, mais constante qui passe entre les fous et ceux qui ne le sont pas » (Michel Foucault, La littérature et la folie)."

chapitre 4 : Neuf petits crimes très ordinaires de Jean-Baptiste Baronian (Le Grand Miroir, 2006)

Si les nouvelles de ce recueil du prolifique Jean-Baptiste Baronian (sous son nom ou celui d’Alexandre Lous, par ailleurs critique littéraire et membre de Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique ainsi que président des Amis de Georges Simenon) ne sont désormais plus disponible en version française (Le Grand Miroir ayant été racheté par Luc Pire en 2004 puis ayant cessé toute activité en 2013), les textes ont encore la possibilité de circuler dans d’autres langues.

On doit la traduction en roumain de Neuf petits crimes très ordinaires à Petruta Spanu et le livre sera publié par editura Fides, une maison située à Bucarest. Professeur émérite de littérature française et belge francophone à l’Université « Alexandru Ioan Cuza » de Iaşi (Roumanie) et à l’Université «Marie Curie-Skłodowska » de Lublin (Pologne) et docteur ès lettres, on lui doit de nombreuses traductions dont 55 d’auteurs belges francophones, parmi lesquels Béatrice Beck, de nombreux volumes de Maurice Carême, Jacques De Decker, Jean-Luc Outers ou Jacqueline Harpman.

Voici ce qu’elle dit du recueil de Baronian :

"Neuf petits crimes très ordinaires est composé de neuf nouvelles, véritables petites perles mystérieuses et subtiles : un criminel parfait changé en victime, une femme perdue par son amour des chats, un cadeau d’anniversaire qui sert d’arme du crime, une vengeance maquillée en crime, la préparation livresque d’un crime, un crime par coïncidence, etc. En Roumanie, où l’on lit beaucoup de polars, le nom de Jean-Baptiste Baronian n’est pas encore connu. Ce serait une bonne occasion de commencer la connaissance de cet auteur par sa littérature policière."

26.02.2021