Bericht aan de bevolking (13) Mouvements

Claire Fercak
29.04.2020
Auteurstekst
20201004 Avis Claire Fercak Photo

‘Social distancing’ is wat Corona-experts adviseren, ‘social nearness’ is wat we met onze literaire ontmoetingen beogen. Passa Porta wil het contact met lezers en schrijvers niet verliezen en geeft daarom de komende weken het woord aan een selectie auteurs uit binnen-en buitenland, die we vroegen om een persoonlijk ‘Bericht aan de bevolking’ vanuit hun schrijfkamer.

Claire Fercak est une écrivaine française qui vit et travaille à Paris. Sous la forme d’un chant mélancolique, elle pose un regard très personnel, délicat et pudique, sur le moment que nous traversons tous.

A l’occasion de la publication de son livre Ce qui est nommé reste en vie (Verticales, 2020), Passa Porta l’avait invitée à venir discuter avec Patrick Declerck (Crâne, Gallimard, 2016) de ce que peut la littérature, par delà les limites. Suivez nos réseaux sociaux pour retrouver prochainement cette discussion, qui aura lieu sous une forme virtuelle.

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Mouvements

les allées dépeuplées
les lieux désertiques

cette langueur
n’est pas un long voyage

on n’a pas marché longtemps
on n’a pas couru

plus on avançait
plus on avait l’impression
d’être encerclé
surveillé

on nous empêchait
d’avancer

dans la rue
c’était presque l'été
la peur enlaçait
espaçait
protégeait

est-ce vraiment arrivé ?

les allées dépeuplées
les lieux désertiques

impossible d’emprunter le sentier
que matériellement rien n’obstrue

mouvements entravés
gestes hésitants
membres lourds
ankylosés engourdis
la pierre, nos os

rares promenades
balades minutées
flâneries chimériques

c'était mars
c'était l’hiver
puis le printemps

ce n'était pas comme ça, avant
les sorties
les promenades

on ne marche plus en forêt
on n’avance plus en groupe

figé par moment
par l’inquiétude

perdu au milieu du salon
cotonneux et troublé

obligé
aux mouvements minimes
à quelques pas

balancement
entre ces contraintes
et l’envie d’y échapper

on recherche
un nouvel équilibre
un autre monde

écrire dans cet écart
les mauvais rêves
les ombres
l’existence lacunaire

les allées dépeuplées
les lieux désertiques

on a cessé de marcher
d'avancer
de se mouvoir
alors qu’on voulait
on pouvait

projets suspendus
événements annulés
pensées
souvenirs
visions qui se querellent

perdre la notion du temps
l’agencement de son temps

tremblements
sieste légère
mouvements frénétiques
profonde léthargie
inspirations

étirements du dos et des jambes
projection du corps en hauteur
il suffirait de prendre de l'élan
pour courir
et sauter
impossible

à la dérive des heures
le sommeil dans nos mains
sèches
gercées
rougies

le sommeil dans nos mains
fantôme énigmatique
nous attire dans ses mirages passés

vouloir marcher
avancer
tourner
danser
jusqu'à l'épuisement
jusqu’au repos
sans cauchemar

les allées dépeuplées
les lieux désertiques
un intérieur vide

il faut être au moins deux
parfois
faire corps avec l'autre
le guider
le porter
le serrer
le câliner
le caresser

nostalgie de
ce que c'était qu'être

obligé
au mouvement circulaire
à quelques pas sur place
chez soi

bouger
le corps seul
enfermé chez soi
prostré dans cet espace

c'est immobile autour
mais pas tout à fait

entendre des bruits
chants d’oiseau
sirènes d’ambulance
sentir des mots
des souffles
des caresses
des baisers

contrôler ses gestes
rouler ses yeux

surveiller le mouvement
de ses membres
en bas en haut
gauche droite
pas que rectiligne
faire des cercles
aussi

la forme du corps
sa présence
sa pesanteur
son odeur
sa respiration

se concentrer sur le mouvement
de sa respiration
comment est son va-et-vient

quels gestes restent
demeurent
comment les faire
les refaire
différemment
sans trop avancer

et retrouver
ce que c'était qu'être

manquements
incapacités
impossibilités

ne pas dépasser
la distance
le temps minuté
être à la lisière
la limite

quelle épaisseur fait cette limite ?
peut-on la mesurer ?

état larvaire
sans être tout à fait figé

avoir du mal à distinguer
ce qui est fait
de ce qui est subi

songer à
aller
déambuler
courir sur place
s’allonger
s'affaler

comment être
comment remuer
comment sortir
sans crainte

combien de jours
de semaines
de mois

et après

après
on ne sait pas

écrire entre les deux
dans cet écart

jeter des mots contre tout corps solide
et palpable qu’on aurait à portée de mains
un mur par exemple
ou soi

les mots ricochent
reviennent striés
ignorants
inutiles

la mort
n'est plus un événement isolé
mais un état permanent
une situation multipliée
la secousse reproduite
le mouvement reconduit

la mort peut survenir à tout moment
sans témoin amical
sans recueillement partagé
sans discours prononcé

lumières du jour finissant
que faire de cette privation
que faire de ces morts solitaires
images non fictives
qui apparaissent
dès qu’on ferme les yeux

Claire Fercak, pour Passa Porta, avril 2020

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Retrouvez prochainement Claire Fercak en conversation avec Patrick Declerck dans notre magazine. Pour nourrir cette discussion qui sera animée par Anne-Lise Remacle, envoyez vos questions avant le 15 mai à communication@passaporta.be.


Claire Fercak
29.04.2020