Bericht aan de bevolking (13) Mouvements
‘Social distancing’ is wat Corona-experts adviseren, ‘social nearness’ is wat we met onze literaire ontmoetingen beogen. Passa Porta wil het contact met lezers en schrijvers niet verliezen en geeft daarom de komende weken het woord aan een selectie auteurs uit binnen-en buitenland, die we vroegen om een persoonlijk ‘Bericht aan de bevolking’ vanuit hun schrijfkamer.
Claire Fercak est une écrivaine française qui vit et travaille à Paris. Sous la forme d’un chant mélancolique, elle pose un regard très personnel, délicat et pudique, sur le moment que nous traversons tous.
A l’occasion de la publication de son livre Ce qui est nommé reste en vie (Verticales, 2020), Passa Porta l’avait invitée à venir discuter avec Patrick Declerck (Crâne, Gallimard, 2016) de ce que peut la littérature, par delà les limites. Suivez nos réseaux sociaux pour retrouver prochainement cette discussion, qui aura lieu sous une forme virtuelle.
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Mouvements
les allées dépeuplées
les lieux désertiques
cette langueur
n’est pas un long voyage
on n’a pas marché longtemps
on n’a pas couru
plus on avançait
plus on avait l’impression
d’être encerclé
surveillé
on nous empêchait
d’avancer
dans la rue
c’était presque l'été
la peur enlaçait
espaçait
protégeait
les allées dépeuplées
les lieux désertiques
impossible d’emprunter le sentier
que matériellement rien n’obstrue
mouvements entravés
gestes hésitants
membres lourds
ankylosés
engourdis
la pierre, nos os
rares promenades
balades minutées
flâneries chimériques
c'était mars
c'était l’hiver
puis le printemps
ce n'était pas comme ça, avant
les sorties
les promenades
on ne marche plus en forêt
on n’avance plus en groupe
figé par moment
par l’inquiétude
perdu au milieu du salon
cotonneux et troublé
obligé
aux mouvements minimes
à quelques pas
balancement
entre ces contraintes
et l’envie d’y échapper
on recherche
un nouvel équilibre
un autre monde
les mauvais rêves
les ombres
l’existence lacunaire
les allées dépeuplées
les lieux désertiques
on a cessé de marcher
d'avancer
de se mouvoir
alors qu’on voulait
on pouvait
projets suspendus
événements annulés
pensées
souvenirs
visions qui se querellent
perdre la notion du temps
l’agencement de son temps
tremblements
sieste légère
mouvements frénétiques
profonde léthargie
inspirations
étirements du dos et des jambes
projection du corps en hauteur
il suffirait de prendre de l'élan
pour courir
et sauter
impossible
à la dérive des heures
le sommeil dans nos mains
sèches
gercées
rougies
le sommeil dans nos mains
fantôme énigmatique
nous attire dans ses mirages passés
vouloir marcher
avancer
tourner
danser
jusqu'à l'épuisement
jusqu’au repos
sans cauchemar
les allées dépeuplées
les lieux désertiques
un intérieur vide
il faut être au moins deux
parfois
faire corps avec l'autre
le guider
le porter
le serrer
le câliner
le caresser
ce que c'était qu'être
obligé
au mouvement circulaire
à quelques pas sur place
chez soi
bouger
le corps seul
enfermé chez soi
prostré dans cet espace
c'est immobile autour
mais pas tout à fait
entendre des bruits
chants d’oiseau
sirènes d’ambulance
sentir des mots
des souffles
des caresses
des baisers
contrôler ses gestes
rouler ses yeux
surveiller le mouvement
de ses membres
en bas en haut
gauche droite
pas que rectiligne
faire des cercles
aussi
la forme du corps
sa présence
sa pesanteur
son odeur
sa respiration
se concentrer sur le mouvement
de sa respiration
comment est son va-et-vient
quels gestes restent
demeurent
comment les faire
les refaire
différemment
sans trop avancer
ce que c'était qu'être
manquements
incapacités
impossibilités
ne pas dépasser
la distance
le temps minuté
être à la lisière
la limite
quelle épaisseur fait cette limite ?
peut-on la mesurer ?
état larvaire
sans être tout à fait figé
avoir du mal à distinguer
ce qui est fait
de ce qui est subi
songer à
aller
déambuler
courir sur place
s’allonger
s'affaler
comment être
comment remuer
comment sortir
sans crainte
combien de jours
de semaines
de mois
et après
après
on ne sait pas
écrire entre les deux
dans cet écart
jeter des mots contre tout corps solide
et palpable qu’on aurait à portée de mains
un mur par exemple
ou soi
reviennent striés
ignorants
inutiles
la mort
n'est plus un événement isolé
mais un état permanent
une situation multipliée
la secousse reproduite
le mouvement reconduit
la mort peut survenir à tout moment
sans témoin amical
sans recueillement partagé
sans discours prononcé
lumières du jour finissant
que faire de cette privation
que faire de ces morts solitaires
images non fictives
qui apparaissent
dès qu’on ferme les yeux
Claire Fercak, pour Passa Porta, avril 2020
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Retrouvez prochainement Claire Fercak en conversation avec Patrick Declerck dans notre magazine. Pour nourrir cette discussion qui sera animée par Anne-Lise Remacle, envoyez vos questions avant le 15 mai à communication@passaporta.be.