#brusselsbookcity : Bruxelles dans la littérature jeunesse

Lucie Cauwe
03.05.2019
20190430 Bbc Bruxelleslittératurejeunesse Tom Schamp

Potverdekke ! Pascale Fonteneau écrit un chouette polar jeunesse qui se déroule dans les rues et le métro bruxellois, « Carnaval à Bruxelles » (Syros, Souris Noire, 2019), et il apparaît que de nombreux livres pour enfants ont de tout temps raconté la capitale. Ongeluuflijk ? Non. Panorama.

Bruxelles comme cadre

Trouvaille hors catégorie, ni brol, ni vlek, l’album « Vleck » (L’école des loisirs, Pastel, 2012) de Pascal Lemaître, disponible en français et en bruxellois (traduit par un expert, Victor-José Géal du théâtre de Toone). « Vleck », avec une capitale et un c supplémentaire, est un gamin qui vit en enfer mais rate tout ce qu’il entreprend, sauf le poulet rôti, au grand désespoir de son père. La jolie Skieve, experte en frites, dont il tombe fou amoureux, le fera-t-elle changer ?

Avec Mario Ramos (1958-2012), ’t ess gebakke. Il dessinait des maisons typiquement bruxelloises dans ses premiers livres, ainsi dans « Le monde à l’envers » (L’école des loisirs, Pastel, 1995). Ensuite, il a orienté ses décors vers la nature, la forêt surtout, le parc, la mer, ou les a réduits à des fonds de couleurs.

In de sakoche avec Anne Brouillard qui reprend les étangs d’Ixelles dans plusieurs titres délicieux, malicieux. Elle habitait alors entre les plans d’eau et le bois de la Cambre. « La famille foulque » (Seuil Jeunesse, 2007) fait un parallèle amusant entre deux « heureux événements » en préparation, l'un à l'étang, l'autre chez des humains. A propos de « Le pêcheur et l’oie » (Seuil Jeunesse, 2006), elle dit : « L'oie de l'album, je l'ai vraiment vue au bord des étangs d'Ixelles. C'était un dimanche. Elle semblait passionnée par ce que faisaient les pêcheurs. Le livre est parti de là. Après, je suis retournée observer ses attitudes et ses comportements. » Exquise partie de cache-cache, « La vieille dame et les souris » (Seuil Jeunesse, 2007) présente aussi une maison typiquement bruxelloise. Son cartonné petit format, « Sept minutes et demie » (Editions Thierry Magnier, Tête de lard, 2002) a la rue ixelloise De Praetere comme cadre.

Crotje, « Rue de Praetere » est précisément le titre d’un merveilleux leporello en gravure de Geneviève Casterman (Esperluète, 2002), qui pose un regard tendre et amusé sur son voisinage. Les façades, les fenêtres et les toits se déroulent en accordéon pour encercler le quartier dans un livre sans fin.

Echte Bruxelloise, Monique Martin (1928-2000), alias Gabrielle Vincent dans son œuvre pour la jeunesse, l’a été toute sa vie. Elle a croqué sa ville avec humanité, finesse et talent. Dans ses « Ernest et Célestine » bien entendu, empreints d’atmosphères bruxelloises, en rue ou à l’intérieur, mais aussi dès son premier album, dessiné en 1961, le craquant « Petit ange à Bruxelles » (Blanchart, 1970), qu’on suit aux quatre coins de la capitale. L’angelot rebelle décide de descendre sur terre et de rassembler tous les enfants « de pierre et de bronze », dont le Manneken Pis, pour chanter des cantiques. Si Monique Martin a dessiné aussi bien l’abbaye de la Cambre que les Marolles, elle a aussi su saisir l’atmosphère du Palais de Justice, sur les bancs duquel elle avait pris place pendant vingt ans, dans l’album en noir et blanc « Au palais » (Casterman/Duculot, 1994).

Curieusement, l’album intéressant sur Manneken-Pis est signé Vladimir Radunsky (1954-2018), un artiste russe qui a quitté son pays en 1982 pour Vienne puis New York avant de s’établir à Rome pour être « entouré de belles choses ». « Manneken-Pis, l’histoire d’un petit garçon qui fit pipi sur la guerre » a été traduit en français en 2003, un an après sa sortie aux Etats-Unis. C’est bien notre ket, même si Bruxelles n’est nommée qu’en dernière page, le livre se voulant une fable sur la paix.

Le peï Benoît Jacques a fait en 2007 une série de travaux sur l’Atomium, le Manneken-Pis, la Grand-Place, la Monnaie, le Musée des instruments de musique, Sainte-Gudule et le Petit Sablon, pour une expo à la Halle St-Géry. Autre panorama bruxellois avec des récits du quotidien et une cartographie subjective chez Loïc Gaume dans un opus de sa collection Wafel quand il était étudiant à la Cambre. Tom Schamp créa, lui, un Bruxelles de son cru pour le papier d’emballage du magasin/maison d’édition Plaizier qui fêta ses 40 ans en 2017. L’illustrateur anversois revisite aussi Bruxelles, qu’il connaît bien, dans sa série jeunesse « Otto » (P’tit Glénat) et surtout dans le dernier tome, « Otto groot Otto klein » (Lannoo, 2018), non encore traduit, trop amusant. Sans oublier les « Cartes poétiques – Peauésie » illustrées par la meï Sophie Daxhelet (L'Arbre de Diane, 2019) sur Boitsfort, Molenbeek et Dansaert qui révèlent un poème illustré quand elles sont arrosées. Tof, non ?

Célébrité sexagénaire aujourd’hui, toujours klachkop, l’Atomium a été dessiné en 2007, pour son cinquantenaire, par Marie Wabbes dans un petit documentaire titré « Au rendez-vous de la planète », écrit par Diane Hennebert et disponible sur place en français, néerlandais et anglais. Chantal Peten a représenté une salle du Musée des Beaux-Arts dans le livre « Naar het museum » (Clavis).

Un environnement bruxellois apparaît chez plusieurs auteurs/illustrateurs

Corine Jamar dit : « J’ai parlé de Bruxelles dans mon tout premier livre pour la jeunesse, l’album « La princesse cachée », illustré par Jean-Léon Huens (Duculot/Casterman, 1996) mais c’est le seul et c’était il y a houououououou…. longtemps ! » Pareil pour Francine De Boeck qui a illustré « Le bouclier de Bruxelles » sur un texte de Do Spillers (Labor/Syros, 1993). Et plus récemment, pour Thierry Robberecht qui y déroule son roman jeunesse « Le kleptomane » (Oskar jeunesse, 2017). Marie Colot l’évoque dans ses deux premiers romans, « En toutes lettres » (Alice Jeunesse, 2012) et « Souvenirs de ma nouvelle vie » (Alice Jeunesse, 2013). Quant à Matthieu Pierloot, il s’inspire des manifs bruxelloises pour son roman « En grève! » (L’école des loisirs, 2016).

D’autres se sont inspirés de certains quartiers. Le Coin du balai à Boitsfort où elle habite pour Anne Herbauts. La forêt de Soignes en automne, « avec les hauts arbres au tronc gris foncé et les étendues d’herbes à leurs pieds », pour Jean-Luc Englebert dans « Un ours à l’école » (L’école des loisirs, Pastel, 2016). Le centre-ville chez Thomas Lavachery pour son roman « La colère des MacGregor » (Bayard, 2012) où est décrit un lieu qu’il a beaucoup fréquenté dans son enfance, le Marché aux puces : « Ce livre a été conçu en collaboration avec une classe de l'école Decroly. Ce sont les enfants qui avaient donné l'idée de départ, me forçant la main pour le choix du lieu. » Pralines pour tous.

Pas dikke nek, Louis Joos a représenté Bruxelles dans l’album « Eva ou le Pays des Fleurs », avec un texte de Rascal (L’école des loisirs, Pastel, 1994). On y reconnaît l’entrée du métro Bourse, l’intérieur d’un tram et le pont de Luttre. Ce que confirme Rascal : « Je ne vois qu’un livre, « Eva ou le pays des fleurs » avec Louis Joos. Il n'existe plus depuis longtemps. » Avant d’ajouter un second album, « Côté cœur », illustré par Girel (l’école des loisirs, Pastel, 2000) qui se déroule dans le Foyer Bruxellois, dans le quartier des Marolles.

Français installé à Bruxelles, l’écrivain Vincent Cuvellier mentionne volle petrole sa ville d’adoption. Les étangs d'Ixelles sont le décor de « La tête en vacances » (Actes Sud Junior, 2013), la Place Flagey celui de « La guerre des bisous », où on voit également l’Atomium et l’école des étangs et où croise deux Bruxellois, Stromae et Arno. « Place Flagey » est également le titre d’une histoire de « Les jours pairs », illustré par Thomas Baas (Hélium, 2017) et elle apparaît dans « Mon fils », illustré par Delphine Perret (Gallimard Jeunesse/Giboulées, 2017). Depuis la boutique de livres jeunesse d’occasion qu’il a ouverte à Ixelles, il dit : « Je suis souvent en lien avec des choses qui se sont passées à Bruxelles: une amie de Gabrielle Vincent, la petite-fille d'Albertine Deletaille, Dina Kathelyn (Marmouset) qui vit à Forest, Rita van Bilsen qui a été prof ici, le fils de Jijé, des amis d'Elisabeth Ivanovsky, une ancienne peintre de la maison Dujardin. J’ai l'impression agréable que la boutique centralise des trucs de la littérature jeunesse d'hier et de celle d'aujourd'hui. »

Trois questions à Pascale Fonteneau

Pourquoi avoir choisi Bruxelles et son métro à appellations bilingues comme lieu de l'intrigue ?

« Publié dans une maison d’édition française, « Carnaval à Bruxelles » est forcément destiné, au moins en partie, à un public qui ne connaît pas Bruxelles. Ou qui connaît le nom, sans connaître la ville. C’était donc amusant de raconter la ville en même temps qu’une histoire. Ceux qui visiteront la ville après avoir lu le bouquin ne seront pas dépaysés. Ni surpris par nos « exotismes » : les gaufres, les Arts-Loi/Kunst-Wet et notre pharaonique Palais de Justice. C’est moins dépaysant qu’un voyage en Antarctique, mais c’est un voyage quand même. Cela me plaisait aussi que cela se passe dans le métro, parce que, à cet âge, le métro est un gigantesque terrain de jeu, de liberté, d’autonomie et de rassemblement. Aussi un espace de socialisation et de contact avec le monde « réel ». Pauvres, riches, marginaux, travailleurs, étudiants, étrangers, familles, tout le monde se croise dans le métro. »

Comment s'est fait le mélange entre ce qui existe, tram 25, arrêt Parc/Park et ce qui n'existe pas, Poste/Post ?

« L’avantage de la fiction, c’est qu’on n’est pas coincé par la réalité. Si j’avais choisi une station existante, alors il devait forcément y avoir un stand de gaufres, une librairie, des correspondances, de longs couloirs et des écoles à proximité. Au moins, avec Poste/Post, j’étais libre de faire ce que je voulais. »

Comment sont nés les personnages?

« Je voulais que les personnages ressemblent aux habitants de Bruxelles : des Européens s’installant dans la ville (les jumeaux suédois), une néerlandophone fréquentant une école francophone (Ilke) et un cousin français (Lucas) à qui faire découvrir la ville et ses particularités. Quand ils sont ensemble, il n’y a pas de différence. C’est juste une bande de jeunes, prêts à braver tous les dangers pour résoudre un mystère : la disparition d’un « bad boy » jouant de la guitare dans le métro. À partir de là, tout est possible. Y compris de surmonter ses peurs et de mentir à ses parents (pour la bonne cause, évidemment). »

À lire : Pascale Fonteneau, « Carnaval à Bruxelles » (Syros, Souris Noire, 2019)

Lucie Cauwe
03.05.2019