Cinq questions à Karim Kattan, lauréat 2022 du Prix des 5 Continents

ysaline parisis
10.11.2022
Nieuws
Karim Kattan portrait

Vous soulignez la tendance facile qu’ont les littérateur.ice.s à opposer imaginaires occidentaux et orientaux. Quand l’avez-vous compris ?

J’ai toujours vécu, comme beaucoup, dans la position inconfortable mais enrichissante d’être entre-deux. Je ne sais pas si je dirais qu’il y a un Orient et un Occident, ce sont des termes qui ne recouvrent pas des réalités avérées. En tout cas pour moi les choses sont beaucoup plus malléables et poreuses que ça. C’est cette porosité-là des univers qui m’intéresse. Le mouvement des pensées des savoirs et des personnes qui met à mal ces conceptions essentialisantes des icis et des ailleurs. J’apprécie les mondes qui traversent et circulent, aussi bien en tant qu’écrivain qu’en tant que lecteur ou spectateur.

En tant qu'auteur palestinien, quels sont les éventuels stéréotypes que vous souhaitez que votre œuvre combatte ?

Je ne sais pas si je veux que mon travail combatte des stéréotypes. Je ne pense pas que ce soit vraiment l’enjeu central, pour moi. Penser d’emblée à combattre des stéréotypes, c’est déjà se résigner aux termes d’un sujet que je trouve piégeux. Je veux, seulement, qu’on lise ce que j’écris selon les propres termes que je me suis posé, ou selon les coordonnées définies par le texte, plutôt qu’en y fourrant de force toutes sortes de projections.

Je sais que la Palestine convoque pour beaucoup — particulièrement dans l’espace francophone ­— des imaginaires passionnés et très lourds. Le problème, c’est que parfois les lecteur.ice.s sont tellement imprégné.e.s de ces imaginaires qu’iels ne lisent mes textes qu’à partir d’eux.

Cela étant, je pense que quand on lit on est très libre, y compris de faire des contresens : c’est l’une des plaisirs et des risques de la lecture et de l’écriture ; et il faut l’accepter.

La réception du Prix des 5 continents change-t-elle l’image que vous vous faites de vous en écrivain ?

L’image de soi, je ne sais pas. J’ai toujours du mal à avouer (aux autres, à moi) que j’écris — comme si c’était soit arrogant, soit une tare. Le syndrome de l’imposteur en somme.

Le Prix est une opportunité merveilleuse : il m’ouvre à un lectorat et des mondes francophones avec lesquels je n’étais pas forcément familier (et ça a un effet sur moi en tant que lecteur aussi, puisque par la même occasion je découvre un tas d’écrivain.e.s francophones). C’est quelque chose qui est très important, et que je chéris particulièrement, d’avoir accès à des lectorats pluriels et globaux. J'ai pu, avec plaisir, assister par Zoom à un marathon de lecture du roman organisé au Sénégal. C'était incroyable !

Le Prix me permet actuellement de faire une tournée à la rencontre des lecteur.ice.s partout dans l’univers francophone : c’est un énorme cadeau qui ne cesse de me ravir. Et puis ça a été l'occasion de super belles rencontres, très précieuses, aussi bien au sein de l'équipe de l'OIF, que des comités de lecture qui sélectionnent les textes comme Passa Porta, le Camp Littéraire Félix, le Prix du Jeune Écrivain... J'espère pouvoir rencontrer tous les autres, aussi !

Je m'apprête actuellement à aller en Roumanie pour le lancement de la belle traduction roumaine du livre. Cet accès au monde, c'est évidemment le Prix qui l'autorise.

Pourriez-vous nous raconter votre choix du français comme langue d’écriture en tant qu’écrivain palestinien ?

Je crois que les écrivain.e.s, même monolingues, se posent toujours la question des langues d'écriture, c'est-à-dire la question de savoir jusqu'où on peut aller avec la langue et pourquoi. Les choix (ou impositions) de langues sont le fruit de processus longs, complexes, historiques. Bien sûr il y a des réalités matérielles qui font qu'on écrit dans telle langue plutôt qu'une autre — des réalités historiques, souvent coloniales mais pas que, de classe sociale, de géographie, de récits familiaux. C'est donc toujours réducteur de répondre en quelques mots à la question des langues d'écriture. J'écris aussi en anglais, pour d'autres raisons.
Disons, pour faire le plus simple possible, qu'une série de processus historiques et sociaux, ont fait que j'ai fini avec deux langues d'écritures qui ne sont pas les langues de là où j'ai grandi.Cela étant, et pour une réponse plus subjective, malgré ces réalités matérielles, il y a aussi une question de goût. J'aime beaucoup lire et écrire le français et l'anglais. C'est aussi mes langues de lecture, pas seulement d'écriture. Ce sont des outils que j'aime manier, que j'aime bien aussi malmener parfois. J'aime leurs couleurs et leurs sensorialités et leurs limites et leurs angles morts et tout ce qui les rend à la fois — comme toutes les langues — riches et pauvres, circonscrites et océaniques.

A quel(s) thème(s) vous intéressez-vous actuellement pour l’écriture de votre prochain livre ?

J’ai appris à ne plus répondre à cette question, ou en tout cas à l’esquiver, car je finis toujours par faire autre chose que ce que je dis. Ce que je peux dire c’est que je travaille, en français, sur un livre dans lequel je m’autorise à être plus expérimental, à m’amuser un peu plus, à me donner le temps de chercher et de me tromper dans l’écriture.


Propos recueillis par Ysaline Parisis (Passa Porta)




ysaline parisis
10.11.2022