Quelques auteurs néerlandophones au festival

Kerenn Elkaïm
26.03.2019
Pfeijffer Ilja Leonard

On dit souvent, que les lettres néerlandophones ont atteint leur point culminant avec Hugo Claus. Mais ces dernières décennies n’ont cessé de démontrer que de nouvelles générations d’écrivains sont à l’œuvre. Célébrés en Flandre ou aux Pays-Bas, ils doivent souvent attendre une traduction pour rencontrer leurs lecteurs francophones. Passa Porta construit justement des ponts de mots et d’émotions. Des mots qui brisent les frontières, géographiques ou physiques, afin de nous faire découvrir une littérature, aussi riche que variée. Poésie, essais, romans, théâtre ou bande-dessinée (cf. Brecht Evens), tous les genres sont représentés. Ils séduisent de plus en plus les pays étrangers, tant ils reflètent un regard singulier et universel. En voici un bel échantillon.

Multiplicité affirmée (Ilja Leonard Pfeijffer)

Ilja Leonard Pfeijffer (photo) cultive un savoir-faire extraordinaire : la langue. Tel est son outil de travail et d’inspiration. Il l’explore, la triture et la malaxe sous toutes ses formes. Que ce soit la poésie, les nouvelles, le théâtre, les essais, les ouvrages scientifiques, les traductions, les documentaires télévisés ou les chroniques. Autant de facettes qui correspondent à son tempérament passionné, n’aimant pas s’ancrer dans un seul domaine. Pas étonnant qu’il soit intéressé par les frontières floues entre la réalité et l’imaginaire (cf. son livre Het ware leven, een roman, "La vraie vie, un roman"). Né près de La Haye, en 1968, ce spécialiste du poète grec Pindare, vit aujourd’hui en Italie. Son best-seller, La Superba a connu un grand succès car il s’y frotte au thème de la migration. Grand Hôtel Europa est perçu comme son chef-d’œuvre, puisqu’il bouscule l’identité européenne et les ressorts de l’amour. L’engagement, la prose ou l’exigence font vraiment partie de lui. Il a d’ailleurs consacré un recueil entier à la poésie néerlandaise du XXè et XXIè siècle.

Mare de l’Histoire (Jeroen Olyslaegers)

Il est enfin traduit en français, mais Jeroen Olyslaegers compte déjà une belle œuvre, qui s’accroît d’année en année. Il s’impose, dans un premier temps, sur la scène théâtrale flamande. Certaines de ses pièces sont mises en avant par Jan Fabre (ex. Prometheus Landscape). Éclectique et audacieux, l’auteur aborde des thématiques tragiques, comme le travail d’Emily Brontë ou les lendemains du 11 septembre. Sa plume engagée s’affirme également dans la presse ou dans ses romans puissants. Après ses débuts romanesques, il livre une fresque sous forme de trilogie. Wij, Winst et Wil. Ce dernier volet s’intitule Trouble (Stock) en français. Un titre qui correspond bien à la période historique décrite par l’écrivain. A savoir l’occupation et la collaboration dans sa ville natale, Anvers. Le narrateur se voyait devenir poète, mais l’Histoire l’oriente vers la police. Un uniforme qui induit des choix, en ces temps sombres, or que se passe-t-il quand on n’en fait pas ? Qu’on préfère l’opportunisme ?

Olyslaegers prend le risque de dénoncer les points noirs de l’Histoire. Son écriture, percutante et littéraire, soulève la question de l’identité, la démocratie, le courage et la lâcheté. Une façon de découvrir la réalité flamande sous un jour plus complexe. Un éclairage intéressant à quelques mois des élections européennes. Il nous fera le cadeau de lire des extraits inédits de son prochain roman.

Mosaïque atypique (Koen Peeters)

Cela fait à peine un an que Koen Peeters travaille à plein temps comme écrivain. C’est ce qui lui a, sans doute, permis d’ancrer ses romans dans la réalité. Après des études en communication ou en anthropologie, il a évolué dans l’univers bancaire, mais l’appel littéraire était plus fort.

Sa touche belge se retrouve dans son goût pour l’absurde ou la nostalgie, comme en témoigne son premier livre anecdotique Conversaties met K (Conversations avec K). Au fil des années, il donne plus d’ampleur et de psychologie à ses personnages. Het is niet ernstig, mon amour (Ce n’est pas grave, mon amour) présente une bande d’amis qui désirent grandir pour conquérir le monde. Dans Acacialaan (Avenue de l’Acacia), il suit les pas du poète Louis Paul Boon.

Peeters publie ensuite un recueil de poésie et son Grote Europese Roman (Grand Roman Européen). Autant de déambulations, personnelles et politiques, à travers plusieurs contrées, comme l’inoubliable Duizend heuvels (Mille collines) qui nous entraîne au Rwanda, ou De mensengenezer (Le guérisseur) au Congo.

En perte d’essence (Lize Spit)

Méfiez-vous de son air mutin… Quand Lize Spit s’empare d’un stylo, on plonge dans les parts sombres de l’âme. Elle a grandi à Viersel, un village qui lui inspire clairement le décor de son premier roman choc, Het smelt, Débâcle (Actes Sud). Trois enfants y naissent la même année. Ils tissent une complicité qui va évoluer au fil du temps. L’adolescence rime souvent avec tournants, mais dans leur cas, elle prend le chemin d’une tragédie honteuse et silencieuse. Plus d’une décennie plus tard, l’héroïne revient sur ces lieux destructeurs car l’heure de la vérité a sonné. L’auteure slalome habilement entre passé et présent. Une construction recherchée liée à son écriture « architecturale ».

Lize Spit avoue qu’elle multiplie les plans avant de se lancer dans la naissance d’un roman. On sent que cette scénariste, de moins de 30 ans, possède un style imagé d’une redoutable efficacité. D’après elle, il s’agit là « vraiment d’un livre flamand », tant il explore l’étouffement d’un malaise rural et d’une violence, aussi dense que cachée. La famille, l’amitié, le désir, la souffrance ou la soif de vengeance sont décortiqués sans pitié. La primo-romancière a décroché de nombreux prix et traductions. Également à l’aise dans la poésie ou les nouvelles, elle s’attelle à un second roman « très différent ». Un talent à suivre indéniablement !

Une fée de feu (Charlotte Van den Broeck)

Elle fait partie des nouvelles voix européennes. Et pour cause, sa poésie fait preuve de finesse et de pertinence. Installée en Flandres, elle est très attachée à sa langue maternelle. « Je ne peux qu’exprimer ma sensibilité à travers elle. » Charlotte Van den Broeck lui donne d’ailleurs une tournure particulière lors de ses performances. « Elles naissent d’une urgence et donnent lieu à une expérience collective. J’aime ce sens du partage qui m’extrait de la solitude. »

Son premier recueil, Kameleon, annonce la couleur. Le second, Nachtroer (Noctambulations, L’Arbre de Diane, 2019, trad. Kim Andringa) est le nom d’un nightshop à Anvers, mais il désigne aussi les secousses liées à l’amour ou à la féminité. La jeune autrice — née en 1991 — a été choisie pour ouvrir le Salon du Livre à Francfort. Ainsi, la relève est assurée !

Kerenn Elkaïm
26.03.2019